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LA BATAILLE D'HARMAGUEDON

ÉTUDE VII

LES NATIONS ASSEMBLÉES ET LA PRÉPARATION DES ÉLÉMENTS

POUR LE GRAND FEU DE L'INDIGNATION DE DIEU

*  *  *

            Comment et pourquoi les nations sont assemblées. — Les éléments sociaux se préparent pour le feu. — L'accumulation des richesses. — L'accroissement de la pauvreté. — La friction sociale approche la combustion. — Une déclaration du Président de la Fédération américaine du travail. — Les riches sont parfois condamnés trop sévèrement. — L'égoïsme associé à la liberté. — L'indépendance vue par les riches et par les pauvres. — Pourquoi les conditions actuelles ne peuvent continuer. — Le machinisme est un important facteur dans la préparation du grand feu. — Concurrence féminine. — Comment le Travail envisage la situation : vue raisonnable et déraisonnable. — La loi de l'offre et de la demande, inexorable pour tous. — Perspective terrifiante de la concurrence industrielle étrangère. — Les craintes de M. Justin Mc Carthy pour l'Angleterre. — Kier Hardie, M.P., sur la perspective du Travail en Angleterre. — Les paroles prophétiques de l'Hon. Jos. Chamberlain aux travailleurs britanniques. — L'attitude agressive nationale en rapport avec les intérêts industriels. — Herr Liebknecht à propos de la guerre sociale et industrielle en Allemagne. — Résolutions du Congrès international des syndicats ouvriers. — Les géants de notre époque. — Liste des trusts et des groupements. — L'esclavage barbare et la servitude civilisée. — Les masses entre la meule supérieure et la meule inférieure (du moulin). — Aucune puissance humaine n'est capable de régler les conditions sociales universelles.

*  *  *

« C'est pourquoi, attendez-moi, dit l'Éternel, pour le jour où je me lèverai pour le butin. Car ma détermination, c'est de rassembler les nations, de réunir les royaumes pour verser sur eux mon indignation, toute l'ardeur de ma colère ; car toute la terre sera dévorée par le feu de ma jalousie [colère]. Car alors, je changerai la langue des peuples en une langue purifiée, pour qu'ils invoquent tous le nom de l'Éternel pour le servir d'un seul cœur » — Soph. 3 : 8, 9.

Le rassemblement des nations, dans ces derniers jours, en accomplissement de la prophétie de Sophonie, est très manifeste. Les découvertes et les inventions modernes ont vraiment rapproché les lieux les plus éloignés les uns des autres. Les voyages, les facilités du courrier postal, le télégraphe, le téléphone, le commerce, la multiplication des livres et des journaux, etc., ont amené dans une mesure considérable le monde entier en une communauté de pensée et d'action inconnue jusqu'ici. Cet état de choses a déjà rendu nécessaire la promulgation de lois et de règles internationales que chacune des nations doit respecter. Leurs représentants se réunissent en Conseils, et chaque nation a, dans chaque autre nation, ses ministres ou représentants. Des expositions internationales ont également été organisées à cause de ce rapprochement des nations. Une nation n'a plus la possibilité de faire bande à part et d'interdire aux autres l'entrée de ses ports. Les portes de tous les pays doivent nécessairement s'ouvrir et rester ouvertes ; même les barrières des langues diverses sont aisément surmontées.

            Les peuples civilisés ne sont plus des étrangers dans quelque partie du monde que ce soit. Leurs splendides vaisseaux transportent, dans les régions les plus éloignées, leurs représentants commerciaux, leurs envoyés politiques et leurs nationaux en quête de plaisir et épris de curiosité, dans les meilleures conditions de confort. Des trains de luxe les introduisent à l'intérieur des pays d'où ils rentrent chargés de nouvelles connaissances, de nouvelles idées qui leur serviront ensuite de projets pour de nouvelles entreprises. Même les païens les plus arriérés se réveillent de leur rêverie séculaire et regardent avec étonnement et admiration leurs visiteurs étrangers et s'initient à leurs œuvres merveilleuses. A leur tour, ils envoient maintenant leurs représentants chez les peuples étrangers afin de profiter de leurs nouvelles relations.

            Au temps de Salomon, on pensait que la reine de Sheba avait accompli une chose merveilleuse lorsqu'elle vint entendre la sagesse et admirer la grandeur de Salomon, et que pour ce faire elle parcourut une distance de huit cents kilomètres environ. De nos jours, nombreux sont les voyageurs sans titre nobiliaire qui parcourent le monde entier (dont une grande partie était inconnue autrefois) pour voir ses richesses accumulées et pour prendre note de ses progrès. Actuellement, le tour du monde peut s'effectuer avec confort et même avec luxe en moins de quatre-vingts jours [écrit en 1897 Trad.]

            En vérité, les nations sont « assemblées », d'une manière inattendue, et ceci de la seule manière possible, c'est-à-dire par une activité et des intérêts communs. Ce n'est pourtant pas, hélas ! l'amour fraternel, mais l'égoïsme qui marque chaque étape de ce progrès. L'esprit d'entreprise dont l'égoïsme est le pouvoir moteur a poussé les hommes à construire des chemins de fer, des bateaux à vapeur, des télégraphes, des câbles, des téléphones. L'égoïsme dirige le commerce et les relations internationales ainsi que toute autre énergie et entreprise, sauf la prédication de l'Évangile et l'établissement d'institutions de bienfaisance ; même dans ce dernier cas, il est à craindre que beaucoup de ces œuvres ne soient inspirées par d'autres mobiles que l'amour pur de Dieu et pour l'humanité. L'égoïsme a rassemblé les nations et les prépare d'une manière sûre à la rétribution prédite — l'anarchie — qui s'approche à grands pas, et qui est si bien décrite par le prophète comme le « feu de la jalousie (ou colère) de Dieu » qui va consumer totalement l'ordre social actuel, le présent monde (2 Pi. 3 : 7). Cependant, ceci n'est dit que du point de vue humain seulement, car le prophète attribue ce rassemblement des nations à Dieu. Toutefois, les deux points de vue sont exacts, car s'il est, permis à l'homme d'exercer son libre arbitre, Dieu, par son autorité providentielle, dirige les affaires humaines pour l'accomplissement de ses desseins personnels et sages. Ainsi, tandis que les hommes, leurs œuvres et leurs méthodes sont les agents et les moyens, Dieu est le Commandant suprême qui réunit les nations et rassemble les Royaumes d'une extrémité de la terre à l'autre, pour préparer le transfert du pouvoir de la terre à celui « qui en possède le droit », Emmanuel.

            Le prophète nous dit pourquoi l'Éternel rassemble ainsi les nations :

            « Pour verser sur eux mon indignation, toute l'ardeur de ma colère ; car toute la terre [le système social tout entier] sera dévorée par le feu de ma jalousie ». Ce message ne nous apporterait que chagrin et angoisse si nous n'avions pas l'assurance que les résultats travailleront au bien du monde, en renversant le règne de l'égoïsme et en établissant, par le moyen du Royaume millénaire de Christ, le règne de la droiture auquel fait allusion le prophète, en ces termes : « Car alors, je changerai la langue des peuples en une langue purifiée [leurs rapports ne seront plus égoïstes, mais purs, vrais et pleins d'amour], pour qu'ils invoquent tous le nom de l'Éternel pour le servir d'un seul cœur ».

            Le « rassemblement des nations » ne contribuera pas seulement à rendre le jugement rigoureux, mais il rendra également impossible à quiconque d'y échapper ; ainsi fera-t-il que la grande tribulation soit un conflit de courte durée mais décisif, comme il est écrit « Le Seigneur fera une œuvre abrégée sur la terre » Rom. 9 : 28 ; Ésaïe 28 : 22.

LES ÉLÉMENTS SOCIAUX SE PRÉPARENT POUR LE FEU

            En regardant autour de nous, nous voyons les « éléments » qui se préparent pour le feu de ce jour, le feu de la colère de Dieu. L'égoïsme, la connaissance, la fortune, l'ambition, l'espérance, le mécontentement, la crainte et le désespoir sont les éléments dont la friction enflammera sous peu les passions exaspérées du monde ; c'est alors que ses divers, « éléments » sociaux se fondront, se dissoudront dans la chaleur intense de ce jour. En considérant, ce qui se passe dans le monde, on constate que des changements sont intervenus touchant ces passions au cours du siècle dernier, et particulièrement durant les quarante années passées. La satisfaction, le contentement du passé a disparu de toutes les classes de la société : riches, pauvres, hommes, femmes, gens instruits ou ignorants. Tous sont mécontents. Tous cherchent égoïstement et de plus en plus à obtenir des « droits » ou se lamentent des « torts » qui leur sont faits. Il est vrai qu'il y a des injustices, de graves injustices à réparer, et des droits qui devraient être satisfaits et respectés ; mais la tendance à notre époque, avec l'augmentation de connaissance et d'indépendance, est de ne considérer seulement que le côté des questions qui touche à ses intérêts personnels et de ne pas chercher à apprécier le côté opposé. L'effet prédit par les prophètes sera, en fin de compte, d'amener tout homme à lever la main contre son prochain, ce qui sera la cause immédiate de la grande catastrophe finale. La Parole et la providence de Dieu, ainsi que les enseignements du passé sont oubliés sous les fortes convictions des droits personnels, etc. C'est ce qui empêche les gens de toutes les classes de choisir la voie la plus sage, la plus modérée, qu'ils ne peuvent même pas discerner, parce que l'égoïsme les aveugle sur tout ce qui n'est pas en accord avec leurs préjugés personnels. Chaque classe manque de considérer avec impartialité le bien-être et, les droits des autres. La règle d'or est d'une manière générale ignorée ; le manque de sagesse aussi bien que l'injustice de cette conduite seront bientôt rendus manifestes à toutes les classes ; car toutes souffriront terriblement dans cette détresse. Mais, nous informent les Écritures, les riches souffriront davantage.

            Tandis que les riches se hâtent d'amasser des fortunes fabuleuses pour ces derniers jours, qu'ils abattent leurs greniers et en bâtissent de plus grands, se disant en eux-mêmes et disant à leur postérité : « Mon âme, tu as beaucoup de biens assemblés pour beaucoup d'années ; repose-toi, mange, bois, fais grande chère », Dieu, par la bouche des prophètes, dit : « Insensé ! cette nuit même, ton âme te sera redemandée. Et ces choses que tu as préparées, à qui seront-elles ? » — Luc 12 : 15-20.

            Oui, la sombre nuit prédite (Ésaïe 21 : 12 ; 28 : 12, 13, 21, 22 ; Jean 9 : 4) approche rapidement, et comme un piège, surprendra le monde entier. Alors, en effet, à qui seront ces trésors amassés quand, dans la détresse de l'heure, « ils jetteront leur argent dans les rues, et [que] leur or sera rejeté comme une impureté ? ». « Leur argent et leur or ne pourront les délivrer au jour de la fureur de l'Éternel...  car c'est ce qui a été la pierre d'achoppement de leur iniquité » — Ezéch. 7 : 19.

L'ACCUMULATION DES RICHESSES

            Il est évident que nous vivons en un temps qui dépasse tous les autres quant à l'accumulation des richesses, et aux extravagances de toute nature de la part des riches (Jacques 5 : 3, 5). Écoutons le témoignage de la littérature contemporaine. Si ce que nous avançons est prouvé d'une manière concluante, nous aurons là une autre preuve que nous sommes dans les « derniers jours » de la dispensation actuelle, et que nous approchons de la grande détresse qui causera éventuellement la destruction du présent ordre de choses du monde et introduira l'humanité dans le nouvel ordre de choses, sous le Royaume de Dieu.

            L'Hon. Wm. E. Gladstone, dans un discours qui fut largement diffusé, déclara, après avoir fait allusion au temps actuel comme un « âge producteur de richesses » :

            « Il y a devant moi des messieurs qui ont été les témoins d'une plus grande accumulation de richesses durant leur vie que dans tous les temps antérieurs depuis l'époque de Jules César ».

            Remarquez cette déclaration faite par l'un des hommes les mieux informés du monde. Ainsi, dans les cinquante années passées, il y a eu plus de richesses produites et accumulées que dans les dix-neuf siècles précédents. Ce fait, qu'il nous est si difficile de comprendre, est néanmoins montré par des statistiques comme une estimation très modérée, et les nouvelles conditions ainsi créées sont destinées à jouer un rôle important dans le rajustement imminent de l'ordre social du monde.

            Il y a quelques années, The Boston Globe, donna le compte rendu suivant à propos de quelques-uns des hommes riches des États-Unis :

            « Les vingt et un magnats du chemin de fer qui se réunirent à New York, le lundi, pour discuter la question de concurrence des chemins de fer, représentaient un capital de 3 milliards de dollars. Des hommes toujours vivants peuvent se souvenir du temps où il n'y avait pas une demi-douzaine de millionnaires dans le pays. Ils sont maintenant 4 600 et l'on dit que plusieurs d'entre eux ont un revenu annuel de plus d'un million.

            « Il y a dans la Cité de New York, selon une estimation modérée, le nombre surprenant de 1 157 propriétés individuelles et collectives valant chacune 1 million de dollars. A Brooklyn, il y a 162 propriétés individuelles et collectives valant chacune au moins 1 million de dollars. Dans ces deux villes, il y a ensuite 1319 millionnaires, mais beaucoup d'entre eux possèdent beaucoup plus qu'un million de dollars : ils sont multimillionnaires, et la nature de ces fortunes est différente ; aussi rapportent-elles des revenus différents. Les taux d'intérêt auxquels les fortunes les plus connues sont placées, sont en chiffres ronds les suivants : pour John D. Rockefeller : 6 % ; William Waldorf Astor : 7 % ; la propriété de Jay Gould, placée dans des sociétés et pratiquement indivisible : 4 % ; Cornelius Vanderbilt : 5 % ; et William K. Vanderbilt : 5 %.

            « En calculant aux taux précédents et en intérêts composés semi-annuellement afin de permettre des réinvestissements, voici les revenus annuels et journaliers des quatre fortunes individuelles et collectives indiquées plus haut :

$ par an $ par jour
William Waldorf Astor 8 900 000 23 277
John D. Rockefeller  7 611 250 20 853
Jay Gould (propriétés) 4 040 000 11 068
Cornelius Vanderbilt 4 048 000 11 090
William K. Vanderbilt   3 795 000   10 397

            Cela constitue évidemment une estimation modérée, car il y a encore six ans, on remarquait que le dividende trimestriel de M. Rockefeller sur les valeurs de la Standard Oil Company dont il est l'un des principaux actionnaires, était représenté par un chèque de quatre millions de dollars ; aujourd'hui, les mêmes valeurs rapportent un bien plus grand revenu.

            Longtemps avant la fin du présent siècle, The Niagara Falls Review proclamait la note d'avertissement suivante :

            « L'un des plus grands dangers qui menacent à présent la stabilité des institutions américaines est l'augmentation des millionnaires individuels, et la concentration qui s'ensuit des propriétés et de l'argent dans les mains de particuliers. Un article récent, paru dans un important journal de New York, donne des chiffres qui doivent servir à attirer I'attention générale sur l'évolution de cette difficulté. Voici, y déclare-t-on, les neuf plus grandes fortunes des États-Unis :

$
William Waldorf Astor 150 000 000
Jay Gould 100 000 000
John D.  Rockefeller 90 000 000
Cornelius Vanderbilt  90 000 000
William K. Vanderbilt 80 000 000
Henry M. Flager 60 000 000
John L. Blair 50 000 000
Russel Sage 50 000 000
Collis P. Huntington 50 000 000
Total ................................ 720 000 000

            « En estimant le rendement de ces sommes immenses d'après l'intérêt moyen obtenu par d'autres investissements analogues, voici quels seraient les revenus :

$ par an  $ par jour
Astor 9 135 000 25 027
Rockefeller 5 481 000 16 003
Gould  4 040 000 11 068
Vanderbilt, C. 4 554 000 12 477
Vanderbilt W.K. 4 048 000 11 090
Flager  3 036 000 8 318
Blair 3 045 000 8 342
Sage 3 045 000 8 342
Huntington 1 510 000 4137

            « Presque tous ces hommes ont un train de vie comparativement simple, et il leur est évidemment impossible de dépenser plus qu'une partie de leurs immenses revenus journaliers et annuels. En conséquence, le surplus devient un capital et aide à augmenter considérablement les fortunes de ces individus. A présent, la famille Vanderbilt possède les sommes immenses suivantes (les quelques années écoulées ont augmenté grandement certains de  ces chiffres) :

$
Cornelius Vanderbilt 90 000 000
William K. Vanderbilt 80 000 000
Frederick W. Vanderbilt 17  000 000
George W. Vanderbilt   15  000 000
Mme  Elliott F. Sheppard 13  000 000
Mme William D. Sloane 13 000 000
Mme Hamilton McK Twombly 13 000 000
Mme W. Seward Webb 13 000 000
Total.................................  254 000 000

            « Plus prodigieuses encore sont les accumulations faites grâce au grand Trust Standard Oil qui vient juste d'être dissous, pour être remplacé par la Compagnie Standard Oil. Voici quelles en étaient les fortunes :

$
John D, Rockefeller  90 000 000
Henry M. Flager 60 000 000
William Rockefeller 40 000 000
Benjamin Brewster 25 000 000
Henry H. Rogers 25 000 000
Oliver H. Payne (Cleveland) 25 000 000
Wm. G. Warden (Philadelphie) 25 000 000
Chas. Pratt estate Brooklyn 25 000 000
John D. Archbold 10 000 000
Total.................................. 325 000 000

            « Il n'a fallu que vingt ans pour concentrer cette richesse entre les mains de huit ou neuf hommes. C'est donc ici le danger. Les grands chemins de fer des États-Unis se trouvent entre les mains de Gould, des Vanderbilts et de Huntington. Les grands immeubles du territoire de New York qui augmentent constamment de valeur, sont la possession de Sage, des Astors et d'autres. Réunies et augmentées normalement, les fortunes de ces neuf familles s'élèveraient en vingt-cinq ans à 2 754 000 000 de dollars. William Waldorf Astor lui-même, en accumulant simplement ses revenus, possédera probablement un milliard de dollars avant de mourir, et cet argent, comme celui des Vanderbilts, se transmettra dans sa famille comme dans d'autres, et créera une aristocratie de riches extrêmement dangereuse pour la communauté, constituant un commentaire singulier au sujet de cette aristocratie de naissance ou de talent que les Américains considèrent comme étant si offensante en Grande-Bretagne.

            « D'autres grandes fortunes existent ou font leur apparition ; nous ne pouvons en indiquer que quelques-unes d'entre elles :

$
William Astor 40 000 000
Leland Stanf Stanford  30 000 000
Mme Hetty Green  30 000 000
Philip D. Armour 30 000 000
Edward F. Searles 25 000 000
J. Pierpont Morgan 25 000 000
Charles Crocker (propriétés) 25 000 000
Darius O.Mills 25 000 000
Andrew Carnegie  25 000 000
E. S. Higgins (propriété)  20 000 000
George M. Pullman  20 000 000
Total.................................. 295 000 000

            « Ainsi voyons-nous  un capital d'un montant presque inconcevable entre les mains d'un petit nombre et nécessairement soustrait aux possibilités [d'accès] du plus grand nombre. Aucun pouvoir humain ne saurait résoudre à l’amiable cette question angoissante. Cet état de choses ira de mal en pis ».

QUELQUES MILLIONNAIRES AMÉRICAINS — COMMENT

ILS ONT ACQUIS LEURS MILLIONS

            Le Rédacteur en Chef de Review of Reviews donne ce qu’il appelle « quelques extraits d'un journal très instructif et divertissant, dont la seule faute est d'avoir une vue optimiste de la pieuvre ploutocratique » :

            « Un Américain qui écrit d'après sa connaissance personnelle, mais préfère rester anonyme, raconte dans Cornhill Magazine avec beaucoup de sympathie l'histoire de plusieurs des millionnaires de la gigantesque République. Il prétend que même si les quatre mille millionnaires possèdent entre eux quarante milliards sur les soixante-dix milliards qui constituent la richesse nationale totale, ce qui en reste laisse encore à chaque citoyen 500 $ par tête contre 330 $ par tête il y a quarante-cinq ans. Il soutient que les millionnaires ont prospéré en enrichissant d'autres classes et non en les appauvrissant.

            « Le « Commodore » Vanderbilt, qui fut le premier millionnaire de cette famille, naquit il y a juste un siècle. Son capital consistait à être le traditionnel va-nu-pieds, à avoir les poches vides et à croire à sa chance (base de tant de fortunes américaines). Un dur labeur, de l'âge de six à seize ans, lui fournit un second capital plus tangible, savoir, cent dollars. Il investit cet argent dans un petit bateau ; avec ce bateau, il entreprit un commerce à son compte, le transport de légumes à New York. A l’âge de vingt ans il se maria, et l'homme et la femme mirent leur cœur à gagner de l'argent. Lui s'occupait du bateau ; elle tint un hôtel. Trois ans plus tard, il possédait dix mille dollars. Puis sa fortune se multiplia rapidement, si rapidement que lorsqu'éclata la guerre civile, le garçon qui avait commencé avec un seul bateau d'une valeur de cent dollars, put offrir à la nation un de ses bateaux d'une valeur de huit cent mille dollars. Malgré cela, il se trouvait encore à l'aise et pouvait continuer son commerce maritime. A soixante-dix ans, il était à la tête d'une fortune de soixante-dix millions.

            « La fortune de la famille Astor est due au cerveau d'un seul homme et à la croissance naturelle d'une grande nation, John Jacob Astor étant le seul homme qui, sur quatre générations, sut gagner de l'argent. L'argent qu'il gagna, car il le gagna, fut placé sur des terrains à New York. L'ensemble de ces terrains est limité du fait que la ville se tient sur une île. C'est pourquoi, la croissance de la ville de New York, qui était due à celle de la République, fit de cette petite fortune du dix-huitième siècle la plus grande fortune américaine du dix-neuvième siècle. Le premier et dernier Astor digne d'être retenu comme maître dans l'art d'acquérir des millions fut donc John Jacob Astor. Fatigué de seconder son père, dans sa boucherie à Waldorf, J.J. Astor s'en alla il y a environ cent-dix ans pour tenter sa chance au Nouveau monde. C'est, dans un sens, sur le bateau qu'il fit réellement sa fortune entière. Il y rencontra un vieux marchand de fourrures qui le mit au courant de toutes les ficelles du commerce de fourrures avec les Indiens. Il entreprit donc ce commerce et gagna de l'argent. Puis il épousa Sarah Todd qui était une jeune femme fine et énergique. Sarah et John Jacob finirent par passer toutes leurs soirées dans leur boutique à trier des fourrures... En quinze ans, John Jacob et Sarah avaient amassé 2 500 000 $... Une heureuse spéculation dans des obligations des États-Unis, à un moment où les cours étaient très bas, doubla la fortune de John Jacob. Cette fortune fut tout entière placée dans des biens fonciers où elle est restée depuis.

            « Leland Stanford, Charles Crocker, Mark Hopkins et Collis P. Huntington vinrent en Californie au moment de la fièvre de l'or en 1849. Lorsqu'on agita la question du chemin de fer transcontinental, ces quatre hommes « y virent des millions à gagner » et entreprirent la construction de l'Union Pacific. Les quatre hommes, sans le sou en 1850 possèdent maintenant ensemble une fortune s'élevant à 200 000 000 de dollars.

            « L'un d'eux, Leland Stanford, s'était proposé de fonder une famille, mais il y a dix ans, son fils unique mourut. Il décida alors de créer une université en mémoire de ce fils, et il le fit d'une manière princière. De son vivant déjà, il confia, dans ce but, à des administrateurs fondés de pouvoir, trois fermes d'une superficie de 86 000 acres [34 801 ha environ] valant à cause de leurs superbes vignobles, 6 000 000 de dollars. A ceci, il ajouta 14 000 000 de dollars en titres, et à sa mort, il légua à l'université 2 500 000 $. Cet homme donna donc à lui seul et à une seule institution d'études la somme totale de 22 500 000 $ ce qui est, dit-on, un record mondial. Sa femme a annoncé son intention de laisser sa fortune, soit quelque 10 000 000 de dollars, à l'université.

            « L'exemple le plus remarquable de la formation d'une fortune dans l'histoire des millions américains, est celui que fournit le trust de la Standard Oil :

            « Il y a trente ans, cinq jeunes gens, dont la plupart habitaient la petite ville de Cleveland (État de l'Ohio), et tous relativement pauvres (il est probable qu'ensemble, ils ne pouvaient se vanter de posséder 50 000 $), virent la possibilité de gagner de l'argent avec le pétrole. Dans le langage expressif du vieux marinier, « ils allèrent çà et là pour en chercher, et ils en trouvèrent ». Aujourd'hui, ce même groupe de cinq hommes possède 600 000 000 de dollars... John D. Rockefeller, le cerveau et l'animateur de ce grand « trust », est un homme au visage rouge de santé, aux yeux si doux et aux manières si cordiales, qu'il est très difficile de l'appeler un « accapareur forcené ». Son occupation favorite maintenant est l'instruction, et, il chevauche ce « dada » d'une manière énergique et virile. Il a pris l'Université de Chicago sous sa protection, et déjà la somme de sept millions de dollars est passée de ses poches au fonds de ce nouveau centre de culture dans la seconde cité de la République ».

            Dans un article paru dans le Forum, M. Thomas G. Shearman, statisticien de New York, donnait les noms de soixante-dix Américains, dont les fortunes réunies  s'élèvent à 2 700 000 000 de dollars, soit une moyenne de 38 500 000 $ pour chacune : il déclare qu'on pourrait dresser une liste de dix personnes dont la fortune moyenne  serait de 100 000 000 de dollars, et une autre liste de cent personnes dont la fortune moyenne de 25 000 000 de dollars ; il poursuit en disant que « le revenu moyen annuel  de chacun des cent plus riches Américains ne pas être moins de 1 200 000 $, et qu'il dépasse probablement 1 500 000 $.

            Commentant cette dernière déclaration, un écrivain de talent (Rév.  Josiah Strong) dit :

            « Si cent travailleurs pouvaient gagner chacun 1000 $ par an, il leur faudrait travailler douze cents ou quinze cents années pour gagner autant que le revenu annuel de ces cent Américains les plus riches. Si un travailleur pouvait gagner 100 $ par jour, il devrait travailler jusqu'à ce qu'il soit âgé de cinq cent quarante-sept ans, sans prendre une seule journée de congé, pour pouvoir gagner autant d'argent que n'en possèdent certains Américains ».

            Le  tableau suivant compare la richesse des quatre plus riches du monde en 1830 et en 1893 ; il montre comment les richesses sont « entassées » par nations dans les  derniers jours, de cette dispensation où l'on accumule l'argent d'une manière presque fabuleuse :

Richesses totales : 1830 1893
$ $
de la Grande-Bretagne 16 890 000 000 50 000 000 000
de la France 10 645 000 000 40 000 000 000
de l'Allemagne 10 700 000 000 35 000 000 000
des États-Unis   5 000 000 000 72 000 000 000

            Afin que le lecteur puisse comprendre comment des statisticiens arrivent à leurs conclusions sur un sujet aussi vaste, nous donnons ce qui suit comme étant une estimation classifiée et approximative de la richesse des États-Unis :

$
Biens immobiliers des cités et des villes 15 500 000 000
Biens immobiliers autres que ceux des cités et des villes 12 500 000 000
Propriétés personnelles (non spécifiées ail­leurs ) 8 200  000 000
Chemins de fer et leurs installations 8 000 000 000
Capital investi dans des industries 5 300 000 000
Biens manufacturés 5 000 000 000
Productions (y compris la laine) 3 500 000 000
Propriétés possédées et argent investi dans des pays étrangers 3 100 000 000
Édifices  publics, arsenaux, navires de  guerre, etc. 3 000 000 000
Animaux domestiques dans les fermes 2 480 000 000
Animaux domestiques dans les cités et dans les villes 1 700 000 000
Argent, pièces de monnaie étrangères et  nationales, billets de banque, etc. 2 130 000 000
Terres publiques (à 1,25  $ l'acre – 40,46 a Trad. )  1 000 000 000
Produits minéraux (toutes sortes) . 590 000 000
Total....................................................... 72 000 000 000

            Il y a quelques années, on remarqua que la richesse des États-Unis s'accroissait à raison de quarante millions de dollars par semaine, soit deux milliards de dollars par an (l'endettement total de la nation des États-Unis, public et privé, était alors estimé à vingt milliards de dollars).

            L'amoncellement des trésors pendant les derniers jours, comme on vient de le noter, s'applique spécialement à ces États-Unis, mais il en est de même du monde civilisé tout entier. Par tête d'habitant, la Grande Bretagne est plus riche que les États-Unis, la nation la plus riche sur la terre. Même en Chine et au Japon, il y a depuis peu, des millionnaires. La défaite de la Chine en 1894 par les Japonais serait due surtout, dit-on, à la cupidité des fonctionnaires gouvernementaux qu'on accuse d'avoir fourni des canons et des obus de qualité inférieure, et même des imitations, bien qu'ils aient reçu un prix considérable pour en fournir d'authentiques.

            Bien entendu, une minorité seulement de ceux qui cherchent fortune la trouve. La course précipitée et les luttes pour acquérir les biens de ce monde ne sont pas toujours récompensées. Le poison de l'égoïsme ne touche pas seulement ceux qui réussissent, et, comme le déclarait l'Apôtre : « Or ceux qui veulent devenir riches [qui sont déterminés à être riches à tout prix] tombent dans la tentation et dans un piège, et dans plusieurs désirs insensés et pernicieux qui plongent les hommes dans la ruine et la perdition car c'est une racine de toutes sortes de maux que l'amour de l'agent [de la richesse] » (1 Tim. 6 : 9, 10). La majorité, inexpérimentée, prend des risques et trouve le désappointement et la perte ; la minorité, pleine de sagesse mondaine et de subtilité, prend peu de risques et récolte la plupart des gains. Ainsi, par exemple, la « fièvre de l'or de l'Afrique du Sud » qui, autrefois, se répandit en Grande-Bretagne, en France et en Allemagne, transféra réellement des poches et des comptes en banque de la classe moyenne a ceux des riches capitalistes et des banquiers qui prennent peu de risques, des centaines de millions de dollars. Le résultat fut sans aucun doute une grande perte pour cette classe moyenne si soucieuse d'obtenir rapidement des richesses qu'elle risque son tout. La tendance de tout ceci est de mécontenter nombre de personnes de cette classe d'ordinaire conservatrice et de les préparer dans quelques années à accepter n'importe quel plan socialiste qui promette d'être à leur avantage.

L'ACCROISSEMENT DE LA PAUVRETÉ

            Mais est-il vrai qu'il, y ait des pauvres et des nécessiteux dans ce pays d'abondance, dans lequel tant de gens amassent ensemble une telle fabuleuse richesse ? N'est-ce pas de sa propre faute si un homme ou une femme en bonne santé n'arrive pas à vivre confortablement ? Ne serait-ce pas encourager le paupérisme et la dépendance si ceux qui vivent dans la prospérité se mettaient à « ramer pour faire avancer les canots » des classes plus pauvres ? C'est ainsi que raisonnent nombre de riches qui, en de nombreux cas, étaient eux-mêmes des pauvres il y a vingt-cinq ans, et qui se souviennent qu'alors tous ceux qui pouvaient et voulaient travailler, trouvaient sans peine de l'occupation. Ils ne discernent pas quels grands changements se sont opérés depuis, que si, d'une part leur fortune s'est améliorée d'une manière prodigieuse, d'autre part la condition des masses a rétrogradé, surtout depuis les sept dernières années. Il est vrai que, maintenant, les salaires sont assez élevés parce qu'ils sont maintenu, grâce aux efforts des syndicats ouvriers, etc. ; cependant, beaucoup ne peuvent obtenir du travail, tandis que nombre de ceux qui ont une situation, ne peuvent travailler que la moitié du temps, et souvent moins, et parviennent à peine, par une stricte économie, à vivre décemment et honnêtement.

            Lorsque surviennent des crises spéciales, comme celle de 1893-1896, nombre de sans-travail tombent à la charge de leurs amis qui peuvent difficilement supporter ce surcroît de fardeau. Ceux qui n'ont pas d’amis sont forcés de recourir aux œuvres d'assistance publique, lesquelles, en pareils cas, ne peuvent absolument pas faire face à la situation.

            La crise de 1893 passa sur le monde entier comme une grande vague, et l'abattement qui en résulta se fait encore grandement sentir, bien que beaucoup de personnes aient retrouvé du travail. Selon les Écritures, cette détresse vient semblables à des vagues, à des spasmes, ou aux « douleurs de l'enfantement » (1 Thess. 5 : 3) ; chaque spasme, successif deviendra probablement plus douloureux jusqu'au  spasme final. Les gens fortunés qui jouissent de tout le confort désiré arrivent difficilement à comprendre le dénuement de la classe la plus pauvre qui augmente rapidement. Le fait est que même parmi ceux des classes moyenne et riche, on se rend compte de l'impossibilité totale de changer l'actuel ordre social pour leur apporter un soulagement permanent quelconque ; et ainsi, chacun fait le peu qu'il lui parait possible de faire et de son devoir de faire aux indigents de son entourage et essaie de discréditer ou d'oublier les appels de détresse qui frappent sa vue ou ses oreilles.

            Les extraits suivants tirés de la presse quotidienne rappelleront quelle était la situation en 1893, laquelle se reproduira probablement sous peu en plus grave. The California Adrocate déclarait :

            « Les rassemblements par milliers des masses de chômeurs dans nos grandes villes offrent un triste spectacle, et leur cri pitoyable pour réclamer du travail ou du pain retentit dans tout le pays. C'est le vieux problème insoluble de la pauvreté aggravé par la crise sans précédent dans les affaires. L'oisiveté involontaire est un mal qui va sans cesse en empirant et qui marche de pair avec la civilisation. C’est l’ombre menaçante qui suit sans arrêt le développement de la civilisation, et qui augmente en ampleur et en intensité. Les conditions ne sont certainement pas normales lorsque des hommes veulent travailler, désirent travailler, et ne peuvent cependant pas trouver du travail à faire, alors que leur vie même en dépend. Le vieux dicton n'est pas vrai lorsqu'il dit que « le monde doit à chacun du travail ». Mais il est vrai que le monde doit à chacun la possibilité de gagner sa vie. Beaucoup de théories ont été proposées et beaucoup d"efforts ont été faits pour garantir à tous ceux qui veulent travailler, « le droit au travail », mais jusqu'à présent, tous ces essais ont lamentablement échoué. Celui qui résoudra cet important problème, et qui procurera à tout homme désirant travailler le moyen de le faire, sera en vérité un bienfaiteur de l'humanité, car il délivrera ainsi les humains de la malédiction de l'oisiveté forcée ».

            Un autre récit décrit comment, à Chicago, une foule de plus de quatre cents chômeurs défila à travers les principales rues de la ville. A sa tête, l’un des  manifestants portait une pancarte avec, l’effrayante légende : « Nous voulons du travail ». Le jour suivant, ils se promenèrent avec de nombreuses bannières portant les inscriptions suivantes : « Vivre et laisser vivre », « Nous demandons la possibilité de soutenir nos familles », « Du travail ou du pain », etc. Une armée de chômeurs parcourut San-Francisco avec des bannières portant ces inscriptions :

             « Des milliers de maisons sont à louer et des milliers de gens sont sans abri », « Affamés et dans le dénuement », « Poussés à la mendicité par l'aiguillon de la faim », « Ne montez plus sur notre dos, et nous nous débrouillerons nous-même ». etc,

            Dans un autre journal, on lit :

            « Newark (N.J.), le 21 août : — Aujourd'hui, des chômeurs ont organisé un grand cortège. A leur tête marchait un homme portant un grand drapeau noir sur lequel on lisait en lettres blanches ces mots : « Signes des Temps : Je meurs de faim parce qu'il est gras ». Sous cette inscription on voyait l'image d'un homme gros et bien nourri coiffé d'un haut-de-forme ; à son côté se tenait un travailleur mourant de faim ».

            Un autre journal, faisant allusion à la grève des mineurs-houilleurs anglais, dit :

            « Les histoires de détresse réelle, et même de famine, se multiplient d'une manière affligeante à travers l'Angleterre et l’arrêt du travail dans l’industrie ainsi que la perturbation dans les chemins de fer prennent des proportions d'une grave calamité nationale... Comme on pouvait s'y attendre, la véritable cause provient des redevances énormes qui doivent être payées aux propriétaires du sol pour la location de leurs terrains qui renferment des mines. Un nombre considérable de millionnaires, dont les redevances minières qui leur sont payées pendent comme des meules autour du « cou » des industries minières, sont en même temps des pairs éminents ; aussi, la conscience publique courroucée associe-t-elle les deux choses en même temps... Des journaux avancés dressent-ils des listes extraordinaires de lords qui ne diffèrent pas de celles des trusts en Amérique, et qui montrent dans leurs chiffres leurs monstrueux prélèvements sur les revenus des propriétés du pays.

            « Le cri des gens qui réclament du pain s'élève des villes. Ce cri est plus intense et plus lugubre qu'il ne l'a jamais été. Il provient d'estomacs tiraillés par la faim et de corps affaiblis. Il provient d'hommes qui parcourent à pied les rues pour chercher du travail. Il provient de femmes désespérées, assises dans des chambres vides. Il provient des enfants.

            « Dans la cité de New York, les pauvres sont arrivés à un degré d'indigence jamais atteint. Il n'y a probablement aucun vivant qui puisse comprendre combien la souffrance est terrible, combien est effrayante la pauvreté. Aucune personne à elle seule ne peut la voir toute. Personne ne peut se l'imaginer.

            « Peu parmi nos lecteurs peuvent comprendre ce que signifie être privé de nourriture. C'est l'une des choses si épouvantables qu'on ne peut la leur faire toucher du doigt. Ils disent : « Certainement, les gens peuvent obtenir quelque chose à manger quelque part, suffisamment pour vivre ; ils peuvent aller vers leurs voisins ». Pour ceux qui sont les victimes, il n'y a pas de « quelque part ». Leurs amis sont aussi dénués de tout qu'eux-mêmes.  Ils sont des hommes si affaiblis par manque de nourriture qu'ils ne peuvent pas travailler si du travail leur est offert ».

            Dans son éditorial, l'Examiner de San-Francisco déclarait :

            « Comment cela se fait-il ? Nous avons tant à manger que les fermiers se plaignent de n'avoir aucun profit. Nous avons tant pour nous vêtir que les filatures de coton et de laine ferment leurs portes parce que personne ne leur achète leurs produits. Nous avons tant de charbon que les chemins de fer qui le transportent s'en vont dans les mains des liquidateurs. Nous avons tant de maisons que les constructeurs sont sans travail. Toutes les choses nécessaires à la vie et à son confort sont abondantes comme elles ne le furent jamais dans les années les plus prospères de notre histoire. Lorsque le pays a suffisamment de nourriture, de vêtements, de combustible et de logis pour chacun, pourquoi les temps sont-ils si durs ? Il est évident que la nature n'y est pour rien. Qui ou quoi est donc responsable de cela ?

            « Le problème du chômage est l'un des plus sérieux problèmes que les États-Unis doivent affronter. Selon les statistiques réunies par Bradstreet's, il y avait au début de l'année quelque chose comme 801 000 salariés sans emploi dans les 119 premières cités des États-Unis, et le nombre des personnes à la charge de ces salariés était de plus de 2 000 000. Si les 119 cités ont donné une moyenne exacte, le total des salariés sans travail pour le pays le premier jour de l'an dépasserait 4 000 000 de personnes, représentant une population à leur charge de 10 000 000. Étant donné que les chômeurs cherchent les cités, il est bon de déduire un quart de ces chiffres. Mais même cette déduction faite, le nombre des chômeurs est un total énorme, qui fend le cœur.

            « Le dur chemin de la pauvreté qui conduit au paupérisme a été parcouru si longtemps en Europe que les autorités du Vieux Monde savent mieux comment s'en occuper que ne le sait la communauté comparativement prospère de ce côté-ci de l'Océan. En Europe, les salaires sont si bas que, dans beaucoup d'États, l'hospice est le refuge à la fin de la vie. Aucune somme de travail et d'économie ne peut permettre à un travailleur de garder une pomme pour la soif. La marge entre les recettes et les dépenses est si petite qu'une maladie de quelques jours ou une perte d'emploi réduit le travailleur à l'indigence. Dans ces pays, le gouvernement a été forcé de traiter le sujet plus ou moins scientifiquement, au lieu de la méthode, « à-la-va-comme-je-te ­pousse » familière à l'Amérique ou les vagabonds abondent et où l'homme qui se respecte et qui tombe dans le besoin doit souffrir la faim ».

            Le rédacteur en Chef de The Arena dit dans Civilization Inferno :

            « La Mer Morte de la misère fait reculer ses limites dans chaque centre populeux. Les murmures de mécontentement et de colère sont de plus en plus menaçants d'année en année. La justice qui est refusée aux faibles à cause de la puissance de la cupidité, nous a amenés face à une formidable crise qui peut encore être évitée si nous avons la sagesse d'être justes et humains ; mais on ne peut plus désormais parler d'un ton sarcastique de ce problème comme s'il n'était d'aucune importance. Désormais il n'est plus local, mais il affecte et menace le corps politique tout entier. Il y a quelques années, l'un des ecclésiastiques les plus éminents en Amérique déclarait que dans cette République, il n'y avait pas à proprement parler de pauvreté. Aujourd'hui, aucune personne réfléchie ne disconvient que ce problème soit d'une très grande importance. Il y a peu de temps, j'ai employé un monsieur à New York pour prendre personnellement connaissance des archives du tribunal de la cité afin qu'il puisse se rendre compte du nombre exact de mandats d'éviction délivrés en douze mois. Quel fut le résultat ? Les archives montrèrent le fait terrifiant que durant les douze mois se terminant le 1er septembre 1892, vingt-neuf mille sept cent vingt mandats d'éviction furent délivrés dans la cité de New York.

            « Dans un article du Forum de décembre 1892 par M. Jacob Riis, sur les besoins spéciaux des pauvres à New York, il dit : « Il est vrai que depuis de nombreuses années à New York, un dixième de tous ceux qui meurent dans cette grande et riche cité sont enterrés au cimetière des indigents. Sur les 382 530 enterrements qui eurent lieu dans la décade écoulée, 37 966 furent faits dans le cimetière des indigents, et M. Riis continue en faisant allusion au fait connu de tous ceux qui étudient les conditions sociales et enquêtent personnellement sur la pauvreté dans les grandes cités, que cet exemple du cimetière des indigents, aussi terriblement significatif qu'il puisse être, n'est pas adéquat pour estimer le problème de la pauvreté d'une grande cité. Sur ce point, il poursuit :

            « Ceux qui ont fait une expérience quelconque avec les pauvres, et qui savent avec quelle angoisse ils luttent contre ce point culminant de la misère, comment ils font des projets et se privent pour avoir le pauvre privilège de reposer à leur mort dans une tombe qui leur appartienne (bien que dans leur vie, ils n'aient jamais possédé une cabane qui fût la leur), seront d'accord avec moi que c'est être bien modéré que de supposer que là où un seul tombe, malgré tout, dans cette terrible tranchée, deux ou trois au moins doivent être menacés d'y tomber. Avec cette estimation que vingt à trente pour cent de notre population luttent toujours pour éloigner la faim à leurs foyers, tous les faits connus — même s'ils sont dispersés — touchant des institutions charitables à New York s'accordent assez bien.

            « En 1890, on enregistra officiellement deux cent trente-neuf suicides dans la ville de New York. Les rapports des tribunaux sont chargés, comme jamais auparavant, de cas de personnes qui ont attenté à leurs jours. Le greffier Smyth, s'adressant à une pauvre créature qui avait cherché la mort en se jetant dans l'East River, dit : « Vous êtes la seconde personne qui passe en jugement ce matin pour avoir tenté de se suicider ; et », continua-t-il, « je n'avais jamais vu autant de cas de ce genre avant ces derniers mois ».

            « La nuit tombe lentement mais sûrement sur notre peuple, sur des centaines et des milliers de personnes ; c'est la nuit de la pauvreté et du désespoir. Elles sont conscientes de son approche, mais se sentent impuissantes à entraver sa marche.  « Les loyers augmentent et les salaires diminuent chaque année, et que pouvons-nous y faire ? » déclarait récemment un travailleur en parlant des perspectives de l'avenir. « Je ne vois aucun moyen d'en sortir » ajouta-t-il amèrement, et on doit convenir que les perspectives sont sombres si aucun changement économique radical n'intervient, car l'offre augmente chaque année bien plus rapidement que la demande de travailleurs. « Il y a dix femmes pour n'importe quel emploi, si peu rétribué soit-il », telle est la déclaration impartiale d'un fonctionnaire qui a fait récemment de cette question une étude spéciale. « Des centaines de jeunes filles », continue cet auteur, « brisent leur avenir chaque année et détruisent leur santé dans des magasins et des ateliers sombres et mal aérés, et pourtant d'autres jeunes filles en grand nombre arrivent de la campagne et des bourgs chaque semaine pour remplir les places vacantes ». Mais n'imaginons pas que ce sont là des conditions particulières à New York. Ce qui est vrai de la métropole l'est, jusqu'à un certain point, également de toutes les grandes cités en Amérique. A une portée de canon de Beacon Hill, à Boston où se dresse fièrement le dôme du Capitole, se trouvent des centaines de familles qui meurent lentement de faim et étouffent ; des familles qui luttent avec courage pour se procurer les choses strictement nécessaires à la vie, tandis qu'année après année, les conditions deviennent plus désespérées, la lutte pour le pain plus farouche, et l'avenir plus sombre. En conversation avec l'un de ces travailleurs, dit-il, avec un certain ton pathétique de découragement qui manifestait le désespoir ou peut-être une perception émoussée qui l'empêchait de saisir pleinement la portée de ses paroles : « J'ai entendu parler un jour d'un homme qui fut enfermé par un tyran dans une cage de fer, et qui, chaque jour, trouvait les parois se rapprochant de plus en plus de lui. A la fin, les parois furent si près l'une de l'autre qu'elles firent sortir de force une partie de sa vie, et je ne sais comment » , dit-il, « il me semble que nous sommes exactement  comme cet homme ; lorsque, chaque jour, je vois transporter les petites boites, je dis parfois à ma femme : il y a un peu plus de vie disparue ; un jour, nous partirons aussi ».

            « Récemment, j'ai visité une vingtaine de logements d'ouvriers où la vie lutte contre la mort où, avec un héroïsme patient bien plus sublime que des exploits audacieux accomplis au milieu des cris de triomphe du champ de bataille, des mères et des filles maniaient l'aiguille sans arrêt. Dans plusieurs foyers, j'ai remarqué des impotents cloués au lit, dont les yeux enfoncés et le visage émacié racontaient clairement l'histoire de mois, et peut-être d'années, de manque de nourriture au milieu de la saleté repoussante, de l'odeur écœurante et de la malpropreté presque universelle de la caverne sociale. Ici, l'on devient douloureusement conscient que les spectres de la faim et de la peur sont toujours présents. Une terreur constante opprime le cœur de ces exilés d'un poids écrasant. Le propriétaire, debout, un ordre d'expulsion à la main, hante constamment leur esprit. La crainte de la maladie obsède leurs moments de veille, car pour eux la maladie signifie l'incapacité de se procurer la nourriture à peine suffisante que réclame la vie. Le désespoir de l'avenir probable tourmente fréquemment leur repos. Tel est le sort commun du travailleur patient dans les quartiers sordides de nos grandes cités d'aujourd'hui. Sur la plupart des visages on lit une expression de profonde tristesse et de résignation muette.

            « Parfois une lueur incertaine jaillit d'orbites caverneuses, une lueur funeste suggérant des feux qui couvent alimentés par la conscience toujours présente d'être des victimes. Ils sentent d'une manière confuse que le sort de la bête des champs est bien plus heureux que leur destinée à eux. Même s'ils luttent de l'aube jusque tard dans la nuit pour avoir du pain et une misérable chambre, ils savent que la fenêtre de l'espoir leur est fermée dans les grands centres agités de la chrétienté. Il est triste, en vérité, de penser qu'à l'heure présente, alors que notre pays est couvert comme jamais auparavant de temples majestueux dédiés au grand Nazaréen qui consacra sa vie à exercer un ministère parmi les pauvres, les déchus et les parias, nous trouvons la marée de la misère qui monte ; nous trouvons qu'une pauvreté inattendue devient le sort inévitable de milliers de vies supplémentaires chaque année. Jamais le sentiment d'altruisme n'a été plus général sur les lèvres de l'homme. Jamais le cœur humain n'a soupiré comme maintenant après une vraie manifestation de fraternité humaine. Jamais le monde civilisé tout entier n'a été si profondément remué par le rêve persistant des âges : la paternité de Dieu et la fraternité des hommes. Et pourtant, étrange anomalie ! Le cri de l'innocence, de la justice bafouée, le cri de millions de personnes sous la roue, s'élève aujourd'hui de chaque pays civilisé comme jamais auparavant. La voix de la Russie se mêle avec le cri de l'Irlande. Les parias de Londres s'associent aux bannis de toutes les grandes cités continentales et américaines pour ne former qu'une puissante revendication pour la justice, qui ébranle toute la terre ».

            « A Londres seulement, il y a plus de trois cent mille personnes qui vivent au bord même de l'abîme, dans la crainte continuelle de se voir chassées du pauvre réduit qu'elles appellent leur foyer ; leur vie n'est qu'un long cauchemar. Moins favorisés encore, il y a plus de deux cent mille êtres qui ont faim ; plus bas encore de l'échelle sociale, nous trouvons trois cent mille individus mourant littéralement de faim, le royaume où la faim torture nuit, et jour, où chaque seconde de chaque minute, de chaque heure de chaque jour, est remplie de souffrances. Plus malheureux encore sont les sans-foyer, ceux qui n'ont pas de quoi se procurer un abri, même dans les plus mauvais quartiers ceux qui dorment à la belle étoile l’année durant, qu'on peut trouver par centaines chaque nuit sur les dalles froides du quai de la Tamise. Quelques-uns ont comme matelas un journal, mais la plupart ne peuvent même pas s'accorder ce luxe ! Cette armée d'absolument sans-abri à Londres est de trente-trois mille ».

            Quelqu'un dira peut-être que nous exagérons, mais qu'il s'informe lui-même. Si, d'ailleurs, la moitié seulement de ce, que nous disons est vrai, ce serait déjà pitoyable !

LE MÉCONTENTEMENT, LA HAINE, LES CONFLITS

VONT AMENER RAPIDEMENT L' EMBRASEMENT SOCIAL

            De quelque manière qu'on puisse expliquer aux pauvres que les riches ne furent jamais aussi charitables que maintenant, que la société pourvoit davantage maintenant que jamais auparavant à l'entretien des pauvres, des aveugles, des malades et des faibles, et que d'immenses revenus, provenant chaque année des impôts, servent à maintenir ces œuvres de bienfaisance, cela ne satisferait sûrement pas l'ouvrier. Citoyen intelligent, il se respecte trop pour désirer des aumônes ; il n'a aucun désir de jouir du privilège humiliant d'être entretenu dans un hospice, ou lorsqu'il est malade, d'être soigné comme indigent à l'hôpital. Ce qu'il désire, c'est qu'on lui donne la possibilité de gagner honnêtement et décemment son pain à la sueur de son front, et avec la dignité d'un honnête travailleur, d'entretenir sa famille. Or, tandis qu'il se rend compte que lui et ses compagnons de travail dépendent plus que jamais de la faveur et de l'influence pour obtenir et pour conserver un petit travail, et que les petits boutiquiers, les petits entrepreneurs et les petits fabricants luttent plus difficilement que jamais pour gagner leur vie, il apprend que les riches prospèrent, que le nombre des millionnaires croît, que les capitalistes s'unissent pour accaparer les diverses industries celle du cuivre, celle de l'acier, celle du verre, celle de l'huile, celle des allumettes, celle du papier, celle du charbon, celle de la peinture, celle de la coutellerie, celle du télégraphe et toutes les autres industries. Il discerne également que toutes ces associations, dominent toute l'organisation du monde, et qu'ainsi, alors que son travail se déprécie à cause de la concurrence, les marchandises et les choses nécessaires peuvent augmenter de prix, ou tout au moins ne pas baisser de prix dans la mesure où le coût de la main-d’œuvre est réduit par un outillage perfectionné qui remplace le cerveau et le muscle de l'homme.

            Dans de pareilles circonstances, pouvons-nous, nous étonner qu'a la treizième assemblée annuelle de la Fédération des Travailleurs, à Chicago, le vice-président de l'Assemblée des Commerçants ait souhaité la bienvenue aux visiteurs dans les termes sarcastiques suivants ? Il déclara :

            « Nous aimerions vous souhaiter la bienvenue dans une cité prospère, mais les faits ne justifient pas une telle assertion. Les choses ici sont ce qu'elles sont, mais non ce qu'elles devraient être. Nous vous souhaitons la bienvenue au nom d'une centaine d'accapareurs et de cinquante mille vagabonds, ici où mammon mène une grande bacchanale dans des palais, pendant que des mères ont le cœur brisé, que des enfants meurent de faim et que des hommes cherchent en vain du travail. Nous vous souhaitons la bienvenue au nom de cent mille hommes oisifs, au nom de ces édifices érigés à la gloire de Dieu, mais dont les portes sont fermées la nuit aux affamés et aux pauvres ; au nom des ministres des cultes qui s'engraissent du produit des vignes de Dieu, oubliant que des enfants de Dieu ont faim et n'ont pas un lieu où reposer la tête ; au nom des piliers du « système d'exploitation », des millionnaires et des diacres dont l'âme est dangereusement menacée par la soif de l'or au nom des salariés qui suent du sang transformé en ducats d'or ; au nom des asiles d'aliénés et des hospices, remplis de gens rendus fous par les soucis dans ce pays d'abondance.

             « Nous allons vous faire voir des produits de Chicago qui n'ont pas été étalés dans l'enceinte de l'exposition, produits de sa grandeur et de ses bas-fonds. Ce soir,  nous vous montrerons des centaines d'hommes sur les pierres rugueuses des couloirs du bâtiment même où nous  sommes, dos hommes sans foyer et sans nourriture, des  hommes capables et désireux de travailler, mais pour qui il n'y a pas de travail. Il est temps de sonner l'alarme à cause d’un gouvernement en place dont les droits souverains sont confiés aux magnats du chemin de fer, aux barons de la houille et aux spéculateurs ; l'alarme à cause d'un gouvernement fédéral en place dont la politique financière est actionnée à Wall Street sous l'autorité des barons financiers européens. Nous espérons que vous prendrez des mesures pour utiliser le droit de suffrage afin d'enlever le pouvoir aux serviteurs infidèles du peuple qui sont responsables d'un tel état de choses ».

            Cet orateur se trompe sans doute grandement en supposant qu'un changement de fonctionnaires ou de partis débarrasserait le pays des maux existants, mais il serait certainement inutile de lui dire, à lui ou à n'importe quel autre homme sensé, que les maux actuels ne proviennent nullement de l'arrangement social actuel qui rend possibles de tels extrêmes de richesse et de pauvreté. Cependant, si différentes que puissent être les opinions des gens quant à la cause et au remède, toutes s'accordent, pour dire qu'il y a maladie. Certains cherchent en vain des remèdes dans de mauvaises directions, et beaucoup, hélas ! ne désirent pas qu'un remède soit trouvé, du moins pas avant qu'ils aient eu une chance, de profiter des conditions présentes.

            En accord avec cette pensée, George E. Mc Neill, déclara dans un discours prononcé devant le Congrès mondial du Travail :

            « Le mouvement des travailleurs est né de la faim : faim de nourriture, d'abri, de chaleur, de vêtement et de plaisir. Dans le mouvement de l'humanité vers le bonheur, chaque individu cherche son idéal, et souvent en ne tenant stoïquement aucun compte des autres. L'organisation industrielle repose sur la règle de fer du diable, savoir chacun pour soi. Est-ce un phénomène inexplicable que ceux qui souffrent le plus sous cette règle de l'égoïsme et de la cupidité s'organisent pour renverser le système diabolique de gouvernement ? ».

            Les journaux abondent en descriptions de mariages, de bals et de banquets mondains dans lesquels la prétendue « couche supérieure » de la société paraît en robes somptueuses et avec des bijoux incomparables. On dit que, récemment, lors d'un bal donné à Paris, une dame portait des diamants d'une valeur de 1 600 000 $. En août 1896, le New York World fit paraître le portrait d'une dame américaine parée de diamants et d'autres joyaux estimés à 1 000 000 $, et encore cette dame n'appartient-elle pas à la « couche la plus supérieure » de la société. Les journaux quotidiens parlent de la folle dépense de milliers de dollars pour financer ces festins (vins de choix, décorations florales, etc.). Ils parlent des palais construits pour les riches ; beaucoup d'entre eux coûtent 50 000 $. et certains jusqu'à 1 500 000 $. Ils parlent des « réunions de chiens » au cours desquelles on nourrit les bêtes à grands frais avec des friandises servies par leurs « nurses ». Ils parlent de 10 000 $ payés pour un service de desserts, de 6 000 $ pour deux vases (à fleurs) artistiques, de 50 000 $ pour deux vases de couleur rose. Ces journaux parlent aussi d'un duc anglais qui a payé 350 000 $ pour un cheval. Ils disent qu'une femme de Boston a enseveli son mari dans un cercueil coûtant 50 000 $. Ils parlent d'une autre « dame » qui a dépensé 5 000 $ pour enterrer son caniche favori. Ils disent que des millionnaires de New York paient jusqu'à 800 000 $ pour un seul yacht.

            Pouvons-nous nous étonner si beaucoup de gens sont envieux, et certains irrités et aigris, lorsqu'ils mettent en contraste un tel gaspillage avec la pénurie de leur propre famille, ou tout au moins l'économie forcée ? Sachant que peu d'entre eux sont de « nouvelles-créatures » qui ont placé leurs affections sur les choses d'en haut et non sur des choses terrestres, et qui ont appris que « la piété avec le contentement est un grand gain » pendant qu'ils attendent jusqu'à ce que le Seigneur soutienne leur cause, nous ne pouvons être surpris si de telles choses éveillent dans les cœurs des masses des sentiments d'envie, de haine, de rancune, de querelle ; ces sentiments mûriront en révolte ouverte qui opérera toutes les œuvres de la chair et du diable, durant le grand temps de détresse imminent.

            « Voici, c'est ici l'iniquité de ta sœur Sodome : orgueil, abondance de pain et insouciant repos... mais elle n'a pas fortifié la main de l'affligé et, du pauvre », etc. — Ezéch. 16 :  49, 50.

            Le Christian  Advocate de la Californie, commentant l’un des bals mondains de la Cité de New York, dit :

            « Le luxe surabondant et la prodigalité éblouissante déployés par les riches Grecs et Romains de jadis sont, semble-t-il, des choses du passé. Ce faste insolent commence à faire son apparition dans ce qu'on appelle la société élégante de ce pays. Un de nos agents de change rapporte qu'une dame de New York dépensa, dans une seule saison, 125 000 $ pour ses réceptions. On peut juger du caractère et de la valeur des réceptions si l'on sait que cette dame enseigna à la société comment... faire prendre en glace un punch romain dans le cœur de tulipes cramoisies et jaunes, et, comment manger de la tortue d'eau douce avec des cuillères d'or dans des canots d'argent. D'autres amphitryons parèrent leurs tables de roses de grand prix, pendant que l'un des « quatre cents » dépensa, dit-on, 50 000 $  dans une seule réception. Une dépense aussi insensée, dans un but aussi mesquin, est un péché et une honte quelle que soit la grosse fortune que l'on puisse posséder ».

            Voici quels furent les commentaires du Messiah's Herald :

            « Cent quarante-quatre autocrates de la société mondaine, à la tête desquels se tenait un aristocrate, organisèrent un grand bal tel que jamais la royauté même n'en a organisé. Il fut strictement privé. Le vin coula aussi facilement que l'eau. La beauté prêta ses charmes. Ni Marc Antoine, ni Cléopâtre ne montrèrent jamais pareille magnificence. Ce fut une réunion de millionnaires. La richesse du monde avait été soutirée pour des perles et des diamants. Des colliers de pierres précieuses valant 200 000 $ et moins faisaient resplendir des vingtaines de cous. La danse eut lieu au milieu des splendeurs d'Aladin. La joie fut sans limite. Pendant ce temps, dit un journal, 100 000 mineurs affamés de Pennsylvanie parcouraient les routes comme le bétail en quête de fourrage ; certains d'entre eux se nourrissaient de chats, et plus d'un se suicida pour éviter de voir ses enfants mourir de faim. Pourtant, un seul collier du bal métropolitain aurait, sauvé tous ceux-ci de la faim. Ce fut l'un des « grands événements mondains » d'une nation dite chrétienne, mais quel contraste ! Et il n'y a aucun remède à cela. Ainsi en sera-t-il « jusqu'à ce qu'il vienne ».

            « Jusqu'à ce qu'il vienne ? » — Non, mais plutôt « Ainsi en sera-t-il aux jours du Fils de l'Homme » alors qu'il est venu, pendant qu'il rassemble ses élus, et qu'ainsi il instaure son Royaume dont l'inauguration sera suivie par la « mise en pièces » de l’organisation sociale actuelle, dans un grand temps de détresse et d'anarchie, en préparation à l'établissement du Royaume de justice (Apoc. 2 : 26, 27 ; 19 : 15). Comme il arriva aux jours de Lot, ainsi en sera-il aux jours du Fils de l'Homme. Comme il arriva aux jours de Noé, ainsi en sera-t-il au temps de la présence [parousia] du Fils de l'Homme — Matt. 24 : 37 ; Luc 17 : 26, 28.

LES RICHES SONT-ILS CONDAMNÉS TROP SÉVÈREMENT ?

            Nous citons ce qui suit d'un éditorial du journal Examiner de San-Francisco :

            « Le très grand yacht britannique à vapeur « Valiante », de M. W. K. Vanderbilt a rejoint le yacht britannique à vapeur « Conqueror » de M. F. W. Vanderbilt dans le Port de New York. La « Valiante » coûte 800 000 $. Cela représente le bénéfice sur une récolte d'environ 15 000 000 de bushels [le bushel américain équivaut à 35,2361 litres — Trad.] de blé à soixante cents [le « cent » = 1/100 de dollar —  Trad.], ou la production entière de 8 000 fermes de 160 acres chacune [1 acre = 40,46 ares environ — Trad.]. En d'autres termes, 8000 fermiers, représentant 40 000 hommes, femmes et enfants, ont travaillé sous le soleil et l'orage pour permettre à M. Vanderbilt de faire construire dans un chantier étranger de constructions navales un bateau de plaisance tel que n'en possède aucun souverain d'Europe. La construction de ce bâtiment a exigé le travail d'au moins 1 000 ouvriers pendant une année. L'argent qu'a coûté ce bateau, reparti entre nos ouvriers, aurait eu une influence notable sur les conditions de vie dans certains centres ouvriers ».

            Dans l’Arena, J. R. Buchanan parlant de la cruelle prodigalité des riches, déclara :

            « Le caractère criminel de cette prodigalité n'est pas tant dans le mobile de gens sans cœur que dans la destruction injustifiable (« wanton » — Trad.) de bonheur et de vie accomplie dans un but égoïste. Lorsqu'on examine de près une telle action, il apparaît très clairement que le gaspillage de la richesse dans l'ostentation et le luxe est un crime. Il n'y aurait aucun mal à bâtir une écurie de 700 000 $ pour ses chevaux, tel un millionnaire de Syracuse, ou à poser un service de 50 000 $ sur la table lors d'un dîner tel un Astor de New York, si l'argent était aussi gratuit que l'air et l'eau, mais chaque dollar représente en moyenne le salaire d'une journée. Par conséquent, l'écurie de 700 000 $ représente le travail de 1 000 hommes pendant deux années et quatre mois. Elle représente aussi 700 vies, car 1 000 dollars couvriraient les dépenses faites pour élever un enfant pendant ses dix premières années et le montant des dépenses de la seconde dizaine d'années serait entièrement remboursé par son travail. L'écurie de fantaisie représente la base de l'alimentation de 700 vies, et cela démontre que le propriétaire l'estime davantage que ces vies, ou accepte que 700 personnes doivent mourir pour que sa vanité puisse être satisfaite ».

            The Literary Digest dit, dans son éditorial :

            « Il n'y a pas longtemps, un ecclésiastique de la New England adressa une lettre à M. Samuel Gompers, président de la Fédération américaine des Travailleurs lui demandant de déclarer pourquoi, selon lui, tant de travailleurs intelligents ne vont pas à l'église. M. Gompers répondit qu'une des raisons est, que les églises ne répondent plus aux besoins et aux aspirations des travailleurs, et qu'elles ne sympathisent pas à leurs misères et à leurs fardeaux. Ou bien les pasteurs ne savent pas, dit-il, ou bien ils n'ont pas le courage de dire, du haut de leurs chaires, quels sont les droits et les torts des millions de travailleurs. Les organisations qui se sont trouvées plus efficientes dans l'obtention d'une amélioration des conditions de vie ont été regardées de travers par l'église. On a attiré l'attention des travailleurs sur « le doux tout à l'heure » en négligeant totalement les conditions qui résultent de « l'amer tout de suite ». L'église et le ministère ont été les « apologistes et les défenseurs des torts commis contre les intérêts du peuple, simplement parce que les auteurs de ces  torts possèdent la richesse ». Interrogé sur les moyens qu'il préconiserait pour réconcilier l'église et les masses, M. Gompers recommande « un renversement complet de l'attitude actuelle ». Il termine par ces mots : « Celui qui ne sympathise pas avec le mouvement des travailleurs, celui qui complaisamment ou d'une manière indifférente observe les terribles résultats des conditions sociales et économiques actuelles, est non seulement l'adversaire des meilleurs intérêts de la famille humaine, mais il est participes criminis à tous les torts infligés aux hommes et aux femmes de notre temps, aux enfants d'aujourd'hui, aux hommes et aux femmes de demain ».

            Tandis que nous remarquons ainsi que l'opinion publique condamne les riches comme classe, que le Seigneur également les condamne comme classe et prédit un châtiment sur elle dans son ensemble, il n'est que raisonnable de la part du peuple de Dieu d'être modéré dans son jugement ou dans son opinion concernant les riches considérés individuellement. Le Seigneur, dont le jugement pour cette classe est si sévère, sera néanmoins miséricordieux envers elle individuellement. Lorsque, dans sa sagesse, il aura détruit leurs idoles d'argent et d'or, abaissé leurs regards hautains et humilié leur orgueil, alors il sera clément, encouragera et guérira ceux qui abandonneront leur égoïsme et leur orgueil. On remarquera également que nous n'avons cité que les expressions raisonnables et modérées d'écrivains sensés et non les diatribes extrêmes et souvent absurdes d'anarchistes et de visionnaires.

            Pour aider à  juger avec modération, il est bon de nous souvenir : (1) que le terme « riche » a un sens très large et comprend, non seulement les immensément riches, mais dans beaucoup d'esprits, ceux qui, comparés à ceux-là, pourraient être considérés comme pauvres ; (2) que parmi ceux que les très pauvres appelleraient des riches, se trouvent beaucoup de personnes très bienfaisantes dont un grand nombre prend une part extrêmement active à des œuvres charitables et philanthropiques ; et si tous ne vont pas jusqu’à se sacrifier pour le bien d'autrui, il serait certainement de mauvaise grâce que ceux qui ne le font pas eux-mêmes les condamnent. Ceux qui se donnent pour leurs semblables savent comment apprécier l'esprit de quiconque manifeste un désir de faire le bien, qu'il soit riche ou pauvre.

            Il est bon de se souvenir que nombre de riches non seulement paient à juste titre de lourds impôts pour entretenir des écoles publiques gratuites, pour soutenir le gouvernement, pour soutenir des œuvres publiques de charité, etc., mais qu’ils  contribuent également de bon cœur à soulager les pauvres et qu'ils sont sincèrement charitables au profit des hospices, des collèges, des hôpitaux, etc., et des églises qu'ils estiment les plus dignes. Ceux qui font ces choses d'un cœur bon et honnête et non (comme nous devons admettre que c'est parfois le cas) par ostentation et pour recevoir des louanges des hommes, ne perdront pas leur récompense. Et ceux-là devraient recevoir notre estime en toute justice.

            Chacun peut et désire critiquer les millionnaires, mais dans certains cas nous craignons que le jugement soit trop sévère. Aussi, insistons-nous pour que nos lecteurs ne manquent pas trop de charité dans leur opinion à leur égard. Souvenez-vous que les riches, aussi bien que les pauvres, sont sous l'influence de l'organisation sociale actuelle. La coutume a fixé des lois et des barrières autour de leur tête, et de leur cœur. De fausses conceptions du christianisme, acceptées par le monde entier — riches et pauvres — depuis des siècles, ont marqué profondément les voies dans lesquelles leur esprit s'est exercé habituellement pour penser et raisonner. Les riches pensent qu'ils doivent faire comme d'autres hommes font : employer leur temps et leurs talents selon leur meilleure capacité et selon les « principes qui régissent les affaires ». En faisant cela, ils roulent sur l'argent parce que de nos jours, l’argent et l'outillage sont les créateurs de la richesse, la main-d’œuvre étant peu estimée.

            Puis, raisonnent-ils sans doute, ayant la richesse, il est de leur devoir, non pas de tout thésauriser, mais d'en dépenser une partie. Ils se demandent peut-être s'il serait préférable de la dépenser en œuvres de charité ou de la mettre en circulation par la voie du commerce, et des salaires des travailleurs. Ils pensent avec raison que la seconde manière est la meilleure. Il peut leur venir à l'esprit que les bals, les festins, les mariages, les yachts. etc., sont des plaisirs pour eux-mêmes et pour leurs amis et une assistance pour leurs voisins moins fortunés. Et n'y a-t-il pas quelque vérité dans cette conception ? Le festin de dix mille dollars, par exemple, met d'abord en circulation probablement quinze mille dollars qui vont aux bouchers, aux boulangers, aux fleuristes, aux tailleurs, aux couturières, aux joailliers, etc., etc. Le yacht de huit cent mille dollars, tout en étant une grande prodigalité personnelle, a provoqué la mise en circulation de cette somme parmi des travailleurs quelque part ; plus encore, le service de ce yacht implique pour chaque année, une dépense d'au moins vingt et peut-être cent mille dollars pour payer les officiers, les mécaniciens, les marins, les victuailles, etc., et d'autres dépenses courantes.

            Dans les mauvaises conditions actuelles, par conséquent, il est extrêmement heureux pour la classe moyenne et pour la classe la plus pauvre, que les riches soient « sottement prodigues » plutôt qu'avares ; en dépensant avec, prodigalité une partie du flot de richesse qui coule dans leurs coffres, par exemple pour des diamants, ceux-ci exigent « l'extraction », le polissage et le montage, donnant ainsi du travail à des milliers de personnes qui ne pourraient qu'aller rejoindre le nombre des sans travail si les riches n'avaient aucune faiblesse ni prodigalité mais au contraire thésaurisaient tout ce qu'ils réussissent à posséder. En raisonnant ainsi, il se peut que les riches considèrent leurs actes de prodigalité comme des « actes de charité ». Et s'ils le font, ils ne font que suivre la même manière de raisonner faussement que prennent certaines personnes de la classe moyenne lorsqu'elles organisent des « réunions amicales de l'église », des fêtes de charité et des kermesses « pour la cause de la douce charité ».

            Nous ne justifions pas leur manière d’agir : nous cherchons simplement à faire remarquer que les prodigalités des riches dans des temps de détresse pécuniaire n'impliquent pas nécessairement qu'ils soient dépourvus de sentiments à l'égard des pauvres. Et lorsqu'ils pensent à faire la charité sur d'autres bases que sur des « principes commerciaux », nul doute qu'ils réfléchissent que cela exigerait une petite armée d'hommes et de femmes pour surveiller la distribution de leur profit quotidien, et que malgré cela, ils ne seraient pas encore sûrs que les plus nécessiteux seraient servis, car l'égoïsme est si général qu'ils pourraient avoir confiance à bien peu de personnes pour distribuer honnêtement de grandes quantités. Une dame millionnaire déclarait un jour qu'elle ne regardait jamais aux glaces de sa voiture quand elle traversait les quartiers les plus pauvres parce que cela choquait sa vue. Nous nous demandons si ce n'était pas aussi parce que sa conscience était prise de remords devant le contraste perçu entre sa condition et celle des pauvres. Quant à faire eux-mêmes ces distributions, les hommes sont trop occupés à prendre soin de leurs investissements et les femmes sont trop distinguées pour de telles choses : elles verraient des spectacles trop déplaisants, elles entendraient des sons désagréables et sentiraient des odeurs désagréables. Il est possible que lorsqu'elles étaient plus pauvres, elles convoitaient de telles occasions favorables de faire le bien comme celles qu'elles possèdent maintenant, mais l'égoïsme et l'orgueil, les engagements sociaux et la moralité neutralisent les plus nobles sentiments et empêchent beaucoup de fruit. Comme l'a dit quelqu'un : « C'est parce que notre Seigneur allait de lieu en lieu faisant le bien qu'il put compatir aux infirmités de l'homme ».

            En présentant ces suggestions pour la mesure de consolation qu’elles peuvent offrir aux classes les plus pauvres, nous demandons qu'on ne nous comprenne en aucun sens comme justifiant la prodigalité égoïste des riches, ce qui est mal, et que le Seigneur condamne comme étant mal (Jacques 5 : 5). Mais en considérant les divers côtés de ces questions très discutées, on conserve l'équilibre de l'esprit, le jugement plus sain et la sympathie plus aimante envers ceux que « le dieu de ce monde » a aveuglés avec ses richesses jusqu'à pervertir leur jugement au point de le rendre injuste, et qui sont sur le point de recevoir une réprimande et un châtiment si rigoureux du Seigneur. Le « dieu de ce monde» aveugle également les pauvres sur certaines questions afin de justifier une mauvaise ligne de conduite. De cette manière, il dirige les deux partis à la fois dans la grande « bataille ».

            Il est possible de justifier les accroissements actuels de richesses dans les mains de quelques-uns ; il est possible de discerner que certains parmi les riches, et en particulier parmi les modérément riches, sont très charitables ; il est sans doute vrai que leur richesse a été acquise sous les mêmes lois, celles-là mêmes qui gouvernent tout le monde, et que certains des pauvres sont moins généreux par nature, et moins disposés à être justes que certains des riches, et que s’ils devenaient riches, ils se montreraient souvent plus exigeants et plus tyranniques que les riches ; néanmoins, le Seigneur déclare que les possesseurs de richesses sont sur le point de venir en jugement pour cette raison que lorsqu’ils ont discerné la tendance des affaires, ils n’ont pas cherché à leurs dépens un plan plus équitable, plus généreux que celui en usage aujourd’hui, par exemple dans la ligne du socialisme.

            Pour montrer les façons de voir d'un nombre croissant de gens au sujet du devoir de la société : soit de laisser libre accès à tous aux occasions favorables et aux richesses de la nature (terre, air et eau), soit si ces richesses sont monopolisées, de fournir la possibilité d'un travail journalier à ceux qui ne participent pas aux monopoles, nous citons ce qui suit d'une publication que nous recevons en échange de la nôtre :

            « IL est rare que soit raconté par écrit un incident de la vie réelle, plus pathétique que celui que garantit une maîtresse de jardin d'enfants demeurant à Brooklyn (N.Y.) :

            « Une petite fille qui fréquente un jardin d'enfants du côté de l'est, le district le plus déshérité de la cité de New York, vint récemment à l'école un matin, légèrement vêtue, les traits tirés et ayant froid. Après avoir été un moment dans le jardin d'enfants qui était chauffé, l'enfant regarda bien en face sa maîtresse et lui dit sérieusement :

            « — Mademoiselle C.... aimez-vous Dieu ?

            « — Mais oui, dit la maîtresse.

            « — Eh bien, moi pas, répondit rapidement l'enfant avec résolution et véhémence, je le hais.

            « La maîtresse, trouvant étrange qu'une telle expression vienne d'une enfant à qui elle avait essayé à grand-peine d'enseigner que c'était bien d'aimer Dieu, lui demanda une explication.

            « Eh bien, dit l'enfant, il fait souffler le vent, et je n'ai pas de chauds vêtements ; il fait tomber de la neige, et mes souliers sont troués, et il provoque le froid, et nous n'avons pas de feu à la maison, il nous laisse avoir faim, et maman n'avait pas de pain pour notre déjeuner ».

            Suivait le commentaire : « Si nous tenons compte des bontés matérielles de Dieu accordées aux enfants de la terre, il est difficile, après avoir lu cette histoire, de considérer avec patience la complaisance des riches blasphémateurs qui, telle l'innocente fillette, accusent Dieu des misères de la pauvreté ».

            Cependant, on ne doit pas attendre beaucoup des mondains car l'égoïsme est l'esprit du monde. Nous avons plus de raisons de nous tourner vers les grands et les riches qui se déclarent chrétiens. Pourtant, ceux-ci ne déposent ni leur vie, ni leur richesse sur l'autel de Dieu au service de l'évangile, pas plus qu'ils ne les donnent au service du bien-être temporel de l'humanité. Bien entendu, l'évangile d'abord ! Il devrait prendre tout notre temps, nos talents, notre influence et nos ressources. Mais là ou on ne le discerne pas et où il ne dirige pas le cœur à cause de fausses conceptions venant de faux enseignements, le cœur consacré trouvera énormément à faire à l'égard de « co-mortels » déchus, dans l’œuvre de tempérance, de relèvement social, de réforme municipale, etc. Et il est bien vrai que bon nombre de gens sont ainsi engagés, mais généralement ils font partie de la classe pauvre ou de la classe moyenne ; il y a peu de riches, peu de millionnaires. Si quelques-uns des millionnaires du monde possédaient assez de l'esprit de Christ, pour y engager leurs talents mentaux et financiers, leur temps personnel et celui d'assistants capables qui seraient contents de coopérer si la porte de l'occasion favorable leur était ouverte, quelle réforme sociale verrait le monde en une seule année ! Combien de privilèges publics accordés à des corporations et à des trusts seraient limités ou réformés dans l'intérêt public ; des lois défectueuses seraient amendées et en général les intérêts du public seraient pris en considération et sauvegardés ; les membres de coteries financières et politiques seraient rendus moins puissants contre les intérêts du public.

            Cependant, espérer un tel usage de la richesse est déraisonnable ; en effet, bien que beaucoup d'hommes riches confessent le christianisme, ils ne connaissent rien, eux comme le reste du monde, du vrai christianisme : la foi en Christ comme Rédempteur personnel, et une pleine consécration de chaque talent à son service. Ils désirent être classés comme « chrétiens », parce qu'ils ne souhaitent pas l'être comme « païens » ou comme « juifs » et aussi parce que le nom de Christ est populaire de nos jours, même si ses réels enseignements ne sont pas plus populaires que lorsqu'il fut crucifié.

            En vérité, la Parole de Dieu témoigne que peu de grands de riches ou de sages ont été choisis par Dieu pour être les héritiers du Royaume, mais surtout les pauvres et les méprisés au regard de la ligne de conduite, de la sagesse et de l'estimation de ce monde. Comme il sera difficile pour ceux qui ont des richesses d'entrer dans le Royaume de Dieu ! Il est plus facile pour un chameau d’entrer par un trou d'aiguille que pour un riche d'entrer dans le Royaume du ciel (*). [On dit que « le trou de l’aiguille » était le nom d’une petite porte dans les murailles des petites cités, qu’on employait après le coucher du soleil, quand les plus grandes portes avaient été fermées, par crainte des attaques ennemies. Ces petites portes étaient si étroites, d’après les descriptions qu’on en a faites, qu’un chameau ne pouvait passer que sur ses genoux et après l’avoir déchargé de son fardeau. L’illustration semblerait impliquer qu’un riche devrait être déchargé et s’agenouiller avant d’assurer son appel et son élection pour obtenir une place dans le Royaume] — Matt. 19 : 23, 24.

            Mais hélas ! « les pauvres riches » passeront par de terribles expériences. Non seulement la richesse se prouvera un obstacle à l'honneur et à la gloire futurs dans le Royaume de Dieu, mais même ici, ses avantages seront éphémères. « A vous maintenant, riches ! Pleurez en poussant des cris, à cause des misères qui vont venir sur vous... vous avez amassé un trésor dans les derniers jours ». On entendra sous peu les pleurs et les cris des riches ; la connaissance de ceci devrait enlever toute envie et toute cupidité de tous les cœurs, et les remplir ensuite de sympathie pour les « pauvres riches » ; cette sympathie ne devrait pas néanmoins essayer ou désirer faire changer le jugement du Seigneur ; elle devrait reconnaître sa sagesse et sa bonté, reconnaître que les pleurs et les cris auront corrigé le cœur et ouvert les yeux à la justice et à l'amour, de la part de tous, riches comme pauvres, mais d'une manière plus rigoureuse sur les riches parce que leur changement de condition sera d'autant plus grand et plus violent.

            Mais pourquoi les conditions ne peuvent-elles pas être changées d'une manière graduelle afin d'apporter l'égalisation de la richesse et du confort ? Parce que le monde n'est pas gouverné par la loi royale d'amour mais par la loi de la dépravation, l'égoïsme.

L’ÉGOÏSME ASSOCIÉ A LA LIBERTÉ

            Les doctrines chrétiennes favorisent la liberté, et la liberté conduit à la connaissance et à l'instruction qu'elle cherche à saisir. Cependant, la liberté et la connaissance mettent en danger le bonheur des humains si ces derniers n'obéissent pas à la lettre et à l'esprit de la loi royale d'amour. C'est pourquoi la « chrétienté », ayant accepté la liberté chrétienne et obtenu la connaissance sans avoir adopté la loi de Christ mais en ayant greffé cette connaissance et cette liberté sur la disposition déchue, égoïste, a simplement appris à mieux pratiquer son égoïsme. Comme résultat, la chrétienté est la portion de la terre la plus mécontente, et d'autres nations partagent le mécontentement et ses maux dans la mesure où elles adoptent la connaissance et la liberté du christianisme sans adopter l'esprit de Christ, l'esprit d'amour.

            La Bible, l'Ancien comme le Nouveau Testament, a encouragé l'esprit de liberté, non directement, mais indirectement. La Loi, en effet, stipulait que les serviteurs soient soumis à leurs maîtres, mais elle limitait également ces derniers dans l'intérêt des serviteurs, en les assurant que l'injustice serait certainement rétribuée par le grand Maître de tous, l'Éternel. L'Évangile, le Nouveau Testament, inculque les mêmes principes (voir Col. 3 : 22-25 ; 4 :1). Cependant, la Bible donne à tous l'assurance que si les hommes peuvent différer dans leurs facultés mentales, morales et physiques, Dieu a pourvu à un rétablissement complet ; que, par la foi en Christ, riches et pauvres, esclaves et hommes libres, hommes, et femmes, lettrés et illettrés, tous pourront retourner à la faveur divine dans une même mesure : « acceptés dans le Bien-Aimé ».

            Il n'est donc point surprenant que les Juifs d'antan étaient un peuple épris de liberté et qu'ils portaient le nom de race rebelle ; ne voulant point, rester soumis à leurs conquérants, ceux-ci en vinrent à la conclusion qu'il n'y avait pas d'autre moyen pour les subjuguer que de les détruire entièrement en tant que nation. Il n'est pas surprenant non plus que d'éminents hommes d'État (même non chrétiens) aient admis que « la Bible est la pierre angulaire de nos libertés », et que l'expérience prouve que là où la Bible n'est plus, la liberté a disparu, et, avec elle l'instruction et en général tous sentiments élevés. Ainsi en fut-il pendant les deux premiers siècles de l'ère chrétienne : puis l'erreur (l'intrigue des prêtres et la superstition) domina, la Bible fut mise de côté ou supprimée, et au lieu de plus de progrès, la politique de la papauté amena les « siècles de ténèbres ». Avec le retour de la Bible comme instructeur public, dans les Réformations anglaise et allemande, la liberté, la connaissance et le progrès refirent leur apparition parmi le peuple. C'est un fait incontestable que les pays qui ont la Bible jouissent de plus de liberté, de plus de connaissances, et que dans les pays où la Bible circule le plus librement, les peuples sont les plus libres, les plus éclairés, généralement les plus instruits, faisant les plus rapides progrès dans tous les domaines.

            Mais notons maintenant ce que nous avons observé plus haut, savoir que les influences de la Bible, en fait de lumière et de liberté, ont été acceptées par la chrétienté, tandis que sa loi d'amour (la loi parfaite de la liberté — Jacq. 1 : 25) a été généralement ignorée. Les gens réfléchis prennent seulement conscience du fait que la connaissance et la liberté constituent ensemble une puissante force qui peut être exercée, soit pour le bien, soit pour le mal ; que si ce levier prend pour point d'appui l'amour alors les résultats seront puissants dans le sens du bien, mais que s’il prend comme point d'appui l'égoïsme, les résultats seront puissamment mauvais, et d'une portée considérable. Telle est la condition devant laquelle se trouve aujourd'hui la chrétienté, et qui est en train de préparer rapidement les éléments sociaux pour le « feu » du « jour de la vengeance » et de la rétribution.

            En chimie, on découvre fréquemment que certains éléments utiles et bienfaisants deviennent soudain un poison violent si l'on change les proportions de leur combinaison. Ainsi en est-il pour les bénédictions de la connaissance et de la liberté associées à l'égoïsme. Dans certaines proportions, cette combinaison a rendu de précieux services à l'humanité, mais l'accroissement considérable récent de la connaissance, au lieu de l'élever au pouvoir a placé l'égoïsme sur le trône. C'est l'égoïsme qui domine, et la connaissance et la liberté sont ses serviteurs. C'est cette combinaison qui gouverne maintenant le monde, et même ses éléments de valeur sont rendus ennemis de la droiture et de la paix parce qu'ils sont dominés par l'égoïsme. Dans ces conditions, la connaissance, servante de l'égoïsme, sert très activement les intérêts égoïstes, et la liberté dominée par l'égoïsme, menace de dégénérer en licence sans égard aux droits et aux libertés des autres. Dans les conditions actuelles, par conséquent, l'égoïsme (à la direction), la connaissance et la liberté constituent un triumvirat de puissance du mal qui, par l'intermédiaire de ses agents et représentants, la classe riche et influente gouverne maintenant la chrétienté et l'écrase. Ce ne sera pas moins le même triumvirat du mal quand, bientôt, ses serviteurs et représentants seront les masses humaines.

            Dans les pays civilisés, tous, riches et pauvres, lettrés et illettrés, sages et insensés, hommes et femmes, sont (à de rares exceptions près) poussés dans presque tous les actes de la vie par cette puissante combinaison. Elle engendre chez tous ses sujets une frénésie pour obtenir une place, un pouvoir et un avantage par exaltation personnelle. Les quelques saints qui ne veulent que le bien présent et futur des autres, sont une si petite minorité qu'on ne peut guère les prendre en considération au temps actuel. Ils seront impuissants à opérer le bien auquel ils aspirent, jusqu'à ce que, glorifiés avec leur Seigneur et Maître, ils soient avec Lui autorisés et nantis des pouvoirs de bénir le monde comme Royaume de Dieu. Pendant qu'ils sont dans la chair [écrit en 1897 — Trad.], ils ont encore besoin de veiller et de prier afin que même leur connaissance et leur liberté plus élevées ne deviennent des maux en tombant sous la domination de l'égoïsme.

L INDÉPENDANCE ENVISAGÉE PAR LES RICHES ET PAR LES PAUVRES

            Les masses populaires n'ont que récemment quitté l'esclavage et la servitude pour la liberté et l'indépendance. C'est la connaissance qui brisa par la force les chaînes de l'esclavage individuel et politique : l'égalité politique ne fut pas accordée volontairement, mais arrachée par la contrainte, bribe par bribe. A présent, le monde des égaux politiques est divisé par l'orgueil et l'égoïsme ; une nouvelle bataille a commencé de la part des riches et des gens aisés pour conserver et augmenter leur fortune et leur puissance, et de la part des classes plus pauvres, pour avoir le droit au travail et pour jouir d'un bien-être modéré de la vie (voir Amos 8 : 4-8). Voici comment nombre de gens fortunés sont disposés à penser et à raisonner à l'égard des classes plus pauvres : eh bien ! à la fin, les masses ont obtenu le droit de vote et l'indépendance. Que grand bien leur fasse ! Ils trouveront, pourtant, que, dans toutes les affaires de la vie, les cerveaux sont un facteur important ; or, c'est l'aristocratie  (la classe « supérieure » — Trad.) qui possède surtout ces cerveaux. Notre seul souci est que les masses usent de leur liberté avec modération et légalement ainsi sommes-nous dégagés de beaucoup de responsabilité. Autrefois, lorsque les masses étaient des serfs, chaque seigneur, chaque noble, et chaque duc se sentaient quelque peu responsables de ceux qui dépendaient d'eux mais maintenant, nous sommes libres de nous occuper uniquement de nos propres plaisirs et fortunes. Leur indépendance est à notre grand avantage ; chaque « gentleman » a gagné au changement, et espère qu'il en est de même pour le peuple qui, bien entendu, fera du mieux qu'il pourra pour son propre bien-être, pendant que nous en faisons autant pour le nôtre. En se faisant des égaux politiques et des indépendants, ils ont changé nos rapports : ils sont à présent nos égaux devant la loi, et par conséquent nos concurrents au lieu d'être nos protégés. Bientôt cependant, ils apprendront que l'égalité politique ne rend pas les hommes égaux physiquement ou intellectuellement ; le résultat final de cette situation sera la formation d'une aristocratie de cerveaux et de fortunes au lieu de l'aristocratie héréditaire d'autrefois.

            Certains de la prétendue « couche inférieure » de la société répondent étourdiment : nous acceptons la situation ; nous sommes indépendants et largement capables de prendre soin de nous-même. Prenez garde que nous ne vous surpassions. La vie est une guerre pour la richesse et nous avons le nombre pour nous ; nous organiserons des grèves et des boycottages, et nous réussirons.

            Si les prémisses sont acceptées, savoir que tous les hommes sont indépendants les uns des autres, et que chacun devrait égoïstement faire de son mieux pour son propre intérêt, sans se soucier des intérêts et du bien-être des autres, alors on ne pourrait trouver à redire aux conceptions de la lutte pour la richesse suggérées plus haut. C'est d'ailleurs certainement sur ce principe d'égoïsme et d'indépendance que toutes les classes semblent agir, de plus en plus. Les  capitalistes veillent à leurs propres intérêts, et d'ordinaire (bien qu'il y ait de nobles exceptions) ils paient le travail aussi peu que possible. De leur côté, les techniciens et les ouvriers également (avec de nobles exceptions) veillent simplement à leurs propres intérêts, afin de faire payer, leurs services le plus cher possible. Dès lors, comment l'une ou l'autre des classes peut-elle trouver à redire à l'autre, alors que toutes deux admettent les mêmes principes d'indépendance, d'égoïsme et de force ?

            Cette conception a été si bien adoptée par le public que la vieille coutume qu'avaient les personnes plus instruites, plus douées et plus favorisées à d'autres égards, de visiter les pauvres et de les assister d'un conseil ou de biens temporels, a disparu totalement ; à présent, chacun veille à ses propres affaires et laisse les autres, indépendants, prendre soin d'eux-mêmes, ou souvent aux généreuses mesures publiques de prévoyance : asiles, hôpitaux, « maisons » (ou foyers — Trad), etc. Cela peut être favorable à certaines personnes et à certains égards, mais peut être aussi de nature à créer des difficultés à d'autres et à d'autres égards, à cause de l'inexpérience, de l'imprévoyance, du gaspillage, de l'indolence, de la faiblesse mentale et de l'infortune.

            Le fait est que ni les riches ni les pauvres ne peuvent se permettre d'être égoïstement indépendants les uns des autres, pas plus qu'ils ne devraient sentir ou agir comme s'ils l'étaient. Le genre humain est une seule famille : Dieu « a fait d'un seul sang toutes les races (*) [grec etnos : Ref. Strong n° 1484 (autres acceptations : nations, peuples, etc.)] des hommes » (Actes 17 : 26-D). Chaque membre de la famille humaine est un frère humain de chaque autre être humain. Tous sont les enfants du même père, Adam, un fils de Dieu (Luc 3 : 38), à qui Dieu avait confié la charge de prendre soin de la terre et de ses richesses. Tous sont donc bénéficiaires de cette clause divine, car « la terre appartient toujours à l'Éternel, et tout ce qu'elle contient ». La chute dans le péché, et son châtiment la mort qui s'est exercée par un déclin graduel physique, mental et moral, ont laissé tous les hommes plus ou moins affaiblis ; aussi chacun a besoin de l'aide et de la sympathie qu'il devrait recevoir des autres en proportion du degré de son affaiblissement et de sa dépendance qui en résulte sur les plans mental, moral et physique.

            Si l'amour était le mobile directeur dans le cœur de tous les hommes, chacun se réjouirait de faire sa part pour le bien-être commun, et tous seraient sur un plan d'égalité quant aux besoins communs et à, un certain bien-être matériel. Cela impliquerait un degré de Socialisme. Cependant, l'amour n'est pas le mobile qui gouverne les hommes, et c'est pourquoi un tel plan ne peut être appliqué maintenant. L'égoïsme est le principe qui dirige, non seulement la majeure partie de la chrétienté, mais à peu près toute la chrétienté ; il porte ses propres fruits amers qui mûrissent à présent rapidement pour la grande vendange d'Apocalypse 14 : 19, 20.

            Pour faire changer maintenant la course du monde en le détournant du canal de l'égoïsme pour lui faire prendre celui de l'amour, il ne faut rien de moins que (1) soit, une conversion en masse du monde, (2) soit l'intervention d'une puissance surhumaine. Même ses plus chauds partisans n'imaginent pas une telle conversion, car si la chrétienté nominale a réussi à convertir extérieurement un nombre comparativement petit des milliards de la terre, on peut, par contre, compter seulement un petit nombre de réelles conversions, celles de l'esprit égoïste du monde en celui de Christ, aimant, généreux. C'est pourquoi on peut tout aussi bien abandonner toute espérance de ce côté. Il reste la seule espérance dans l'intervention d'une puissance surhumaine, et c'est précisément un tel changement que Dieu a promis dans le Royaume millénaire de Christ et par lui. Dieu a prévu qu'il faudrait un millier d'années pour bannir l'égoïsme et pour rétablir l'amour comme mobile directeur même des bien disposés, d'ou justement la fixation de ces « temps de rétablissement » (Actes 3 : 21). En attendant, cependant, le petit nombre de personnes qui apprécient réellement et soupirent après la règle d'amour, peuvent en général discerner l'impossibilité de l'obtenir par des moyens terrestres ; les riches, en effet, n'abandonneront pas volontairement leurs avantages, et les masses ne voudraient pas produire suffisamment pour elles-mêmes si elles n'étaient pas stimulées par la nécessité ou par la convoitise, tant est inhérent chez certains le manque égoïste d'efforts, et chez d'autres le luxe égoïste, ruineux et l'imprévoyance.

POURQUOI CERTAINES CONDITIONS FAVORABLES RÉCENTES

NE PEUVENT PERSISTER

            On pourrait suggérer que les riches et les pauvres ont vécu ensemble depuis six mille ans, et qu'il n'y a pas plus de danger de calamité maintenant que dans le passé ; qu'il n'y a plus de danger que les riches écrasent les pauvres et les laissent mourir de faim ni que les pauvres détruisent les riches pendant l'anarchie. Mais c'est là une erreur, car il y a, des deux côtés, un danger plus grand que jamais auparavant.

            Les conditions ont bien changé pour les masses populaires depuis l'époque du servage ; non seulement les conditions matérielles, mais aussi les conditions mentales. A présent, après avoir goûté à la civilisation et à l'instruction, il faudrait des siècles d'oppression graduelle pour assujettir de nouveau les hommes à l'ordre ancien des choses où ils étaient les vassaux des seigneurs terriens. Cela ne pourrait se faire dans un siècle seul : ils aimeraient autant mourir ! Le soupçon même d'une tendance vers un tel avenir pour leurs enfants amènerait une révolution, et c'est  cette crainte qui pousse les pauvres à protester plus énergiquement que jamais auparavant.

            Mais pourra-t-on demander : pourquoi devrions-nous envisager pareille tendance ? Pourquoi ne pas supposer une continuation, et même un accroissement de la prospérité générale du siècle écoulé et particulièrement des cinquante années passées ?

            Nous ne pouvons supposer cela, parce que l'observation et la réflexion montrent que de telles espérances seraient déraisonnables, véritablement impossibles, pour plusieurs raisons. La prospérité du siècle actuel a été — sous la surveillance divine, Daniel 12 : 4 — le résultat direct de l'éveil mental du monde, l'imprimerie, la vapeur, l'électricité et la mécanique appliquée en étant les agents. L'éveil causa un accroissement de demandes des choses nécessaires et des choses de luxe de la part de masses croissantes. Se produisant d'une manière soudaine, l’augmentation de la demande excéda la production, d'où hausse des salaires en général. Comme l'offre devint égale et même surpassa la demande des marchés intérieurs, d'autres nations, longtemps endormies, s'éveillèrent aussi et demandèrent à acheter. Pour un temps, toutes les classes en bénéficièrent et toutes les nations civilisées devinrent soudain beaucoup plus riches aussi bien que beaucoup plus à l'aise que jamais auparavant. La fabrication des machines exigea des mouleurs, des constructeurs de machines et des charpentiers ; à leur tour ceux-ci exigèrent l'assistance de bûcherons et de briquetiers, de constructeurs de fours et de chauffeurs ; puis, lorsque les machines furent prêtes, beaucoup d'entre elles exigèrent du charbon, d'où demande accrue de houilleurs, de mécaniciens, de chauffeurs, etc. Dans le monde entier, on réclama des bateaux à vapeur et des chemins de fer ; des milliers d'hommes furent employés rapidement à les construire, à les équiper et à les faire fonctionner. Ainsi fit-on soudain appel à l'armée des travailleurs, et les salaires augmentèrent en proportion des qualifications exigées. D'autres encore en bénéficièrent indirectement aussi bien que ceux qui étaient employés directement, car les hommes étant mieux payés, mangèrent mieux, se vêtirent mieux et habitèrent de meilleures maisons, plus confortablement meublées. Non seulement le fermier fut, obligé de payer davantage ceux qu'il employait, mais lui-même reçut proportionnellement davantage pour ce qu'il vendait. Ainsi en fut-il dans toutes les branches de l'industrie. De même les tanneurs, les cordonniers, les bonnetiers, les horlogers, les bijoutiers, etc., en bénéficièrent également parce que plus les masses ouvrières étaient mieux payées, et plus elles pouvaient dépenser tant pour les choses nécessaires que pour les objets de luxe. Ceux qui autrefois, allaient pieds-nus, achetèrent des chaussures ; ceux qui, autrefois allaient sans bas, commencèrent à trouver que des bas étaient nécessaires, et c'est ainsi que toutes les branches du commerce prospérèrent. Comme  toutes ces demandes affluèrent subitement, une prospérité générale et rapide était inévitable.

            La demande a stimulé l'invention, laquelle n'a cessé de dresser plan après plan en vue d’économiser de la main-d’œuvre dans l'usine, au foyer, dans la ferme, partout, si bien que maintenant, il est difficile pour quelqu'un de gagner sa vie sans l'aide de machines modernes. Toutes ces conditions combinées au commerce avec des nations extérieures qui se sont éveillées d'une manière analogue, mais plus tard, ont continué à maintenir une situation prospère pour les classes laborieuses, tout en enrichissant d'une façon fabuleuse, les commerçants et les industriels de la chrétienté.

            Maintenant pourtant, nous sommes près des derniers jours de prospérité. Déjà, dans de nombreuses branches, l’offre du monde dépasse la demande, ou  plutôt dépasse la capacité pécuniaire de satisfaire ses désirs. La Chine, l'Inde et le Japon, après avoir été d'excellents clients pour les fabriques d'Europe et des États-Unis, utilisent maintenant, d'une manière générale, leur propre main-d’œuvre (à six ou douze « cents », (*) [1 « cent » = 1/100 dollar — Trad.] par jour) pour copier ce qu'ils ont déjà acheté ; en conséquence, à partir de maintenant ils achèteront proportionnellement de moins en moins. Les pays d'Amérique du Sud se sont lancés dans les affaires plus vite que ne leur autorisait leur intelligence, et quelques-uns d'entre eux ont déjà fait banqueroute ; maintenant, ils doivent économiser, jusqu'à ce qu'ils soient dans une meilleure condition financière.

            Il est donc, évident qu'une crise s'approche, crise qui aurait atteint son point culminant plus tôt que celle d'Europe, n'eût été la prospérité sans précédent de la Grande République, sous la protection d'un tarif douanier ; cette prospérité a attiré ici l'investissement de millions du capital européen, en même temps que des millions d'immigrants européens venus pour participer aux bienfaits de cette prospérité ; incidemment, elle a produit aussi de gigantesques sociétés et trusts qui maintenant, menacent le bien-être public.

            La prospérité générale et des salaires élevés vinrent également en Europe. Non seulement la classe des travailleurs en Europe a été soulagée, mais des guerres ont également diminué la pression de la concurrence sur le marché du travail en tuant un million d'hommes dans leur prime jeunesse, et par une destruction de biens et une interruption générale du travail. Depuis vingt-cinq ans, le maintien toujours croissant des armées soulage l'Europe d'autres millions d'hommes pour le service militaire, lesquels, autrement seraient des concurrents ; en outre, remarquez le nombre considérable de ceux qui sont employés à préparer des armements militaires, des canons, des navires de guerre, etc.

            Si, malgré toutes ces conditions si favorables à la prospérité et à la demande de main-d’œuvre à salaires élevés, nous trouvons à présent que le point culminant a été atteint, et que les salaires ont plutôt une tendance à baisser, nous sommes justifiés à affirmer, d'un point de vue humain, aussi bien que du point de vue de la révélation de Dieu, qu'une crise s'approche — la crise de histoire de ce monde.

            Il convient de noter également que, tandis que les salaires ont, dans les récentes années accusé une élévation sans précédent, le coût de la vie a augmenté davantage encore, exerçant ainsi une influence compensatrice. Quel sera le résultat ? et combien de temps l'attendrons nous ?

            L'écroulement aura lieu rapidement et violemment. Tout comme le marin qui a atteint péniblement le sommet du mât peut tomber soudainement, tout comme une grosse pièce de machine soulevée lentement par des engrenages et des poulies retombera, si la prise est lâchée, en écrasant et en démolissant, bien plus que si on ne l'avait jamais soulevée, ainsi l'humanité, élevée à un niveau jamais atteint, par les engrenages et les leviers de l'invention et du progrès, et aussi par la poulie et le treuil de l'instruction et de la connaissance générales, a atteint un point où (à cause de l'égoïsme) ces moyens ne peuvent l’élever davantage, un point où quelque chose est en train de céder. Elle s'accrochera et s'affermira pour un temps (quelques années) sur un plan inférieur, avant que les engrenages et les leviers qui ne peuvent aller plus loin ne cassent sous la tension, et l'écroulement final en résultera.

            Quand, pour la première fois, on introduisit les machines, on craignit les résultats de la concurrence avec le travail et les capacités de l'homme, mais les facteurs contraires auxquels on a déjà fait allusion (l'éveil général, dans la chrétienté et en dehors, la fabrication des machines, les guerres, les armées, etc.) ont jusqu'à présent plus que compensé la tendance naturelle, au point que beaucoup de gens ont conclu que cette affaire s'accomplit contrairement à la raison, et que les machines qui économisent la main-d’œuvre, ne sont pas en lutte avec le travail humain. Mais il n'en est rien le monde est toujours soumis à la loi de l'offre et de la demande ; la loi agit d'une manière sûre, que n'importe quel esprit raisonnable peut comprendre. La demande de main-d’œuvre et de capacité humaine ne fut augmentée que temporairement afin de préparer la production encore plus abondante de machines destinées à remplacer la main-d’œuvre ; ensuite, le point culminant étant atteint, la réaction ne peut être autrement que soudaine, écrasant ceux sur lesquels tombe le fardeau déplacé.

            Supposez que la civilisation ait augmenté les demandes du monde cinq fois ce qu'elles étaient il y a cinquante ans (et il est certain que cette estimation doit être considérée comme très libérale), qu'en est-il de la production ? Tous seront d'accord que l'invention et le machinisme ont augmenté la production plus de DIX fois ce qu'elle était il y a cinquante ans. Même un homme au mental aveugle peut discerner qu'aussitôt atteint le nombre suffisant de machines construites pour satisfaire les demandes, désormais il y aura une course, une compétition entre l'homme et la machine, parce qu'il n'y aura pas assez de travail pour tous, même si d'autres hommes ou d'autres machines venaient s'ajouter. Cependant, il y a toujours plus de compétition ; la population du monde s'accroît rapidement, et la machine dirigée avec toujours plus de capacité, crée chaque jour davantage et de meilleures machines. Qui ne peut voir que, dans l’actuelle organisation égoïste, aussitôt que la production excédera la demande (aussitôt que nous aurons de la surproduction) la course entre les hommes et la machine doit être brève et très désavantageuse aux hommes. Les machines en général sont des esclaves en fer, en acier et en bois, animés par la vapeur, l'électricité. etc. Elles peuvent faire, non seulement plus de travail, mais un travail meilleur que ne peuvent en faire les hommes. Ces esclaves n'ont aucune intelligence à cultiver, aucune disposition perverse à dominer ; ils ont pas à penser à des femmes et à des familles ni à pourvoir à leurs besoins ; ils n'ont pas d'ambition ; ils ne forment pas d'associations, n'envoient pas de délégués pour s'ingérer dans l'administration de l'affaire pas plus qu'ils ne font grève ; ils sont prêts à faire des heures supplémentaires sans se plaindre sérieusement ou sans demander des primes. Comme esclaves, les machines sont, donc bien plus désirables que des esclaves noirs ou blancs, et en conséquence, on se passe autant que possible de la main-d’œuvre et de ses capacités ; c'est pourquoi les propriétaires de ces machines-esclaves sont bien aise que, sous les lois actuelles et les usages, leurs prochains soient libres et indépendants, car eux-mêmes sont ainsi déchargés, de la responsabilité et de la protection à leur égard que leur asservissement aurait rendu nécessaires.

            Les ouvriers du monde ne sont pas aveugles. Ils voient, confusément au moins, où doit conduire le présent ordre de choses de l'égoïsme ; ils doivent d'ailleurs admettre qu’eux-mêmes ont contribué à son développement, et que c’est dans ce même ordre de choses qu'eux-mêmes, aussi bien que tous les autres, ils continuent à agir. Ils ne discernent pas encore clairement la servitude inévitable et abjecte à laquelle, si on ne la détourne pas, cet ordre de choses les conduira sûrement et rapidement. Ils comprennent bien pourtant que la concurrence parmi eux pour être les serviteurs des machines-esclaves (comme machinistes, mécaniciens, chauffeurs, etc.) devient chaque année de plus en plus âpre.

LA MACHINE EST UN FACTEUR DANS LA PRÉPARATION DU  « FEU »

CES DERNIÈRES ANNÉES NE SONT QU'UN AVANT-GOÛT

DE CE QUI D0IT ARRIVER

            Nous citons certaines personnes qui se sont éveillées et qui se rendent compte des possibilités de l'avenir. Un écrivain inconnu déclare :

            « La splendeur des anciennes démocraties des villes grecques, brillant comme des points de lumière sur le sombre arrière-plan de la barbarie environnante, a été une source de disputes parmi les avocats modernes des différentes formes de gouvernement. Les adversaires du gouvernement par le peuple ont maintenu l'affirmation que les villes anciennes n'étaient pas du tout de vraies démocraties, mais des aristocraties, puisqu'elles reposaient sur le travail des esclaves, ce qui donnait aux seuls citoyens libres le loisir de s'adonner à la politique. Selon ces penseurs, il doit y avoir une classe inférieure pour faire les corvées de la communauté, et une politique qui accorde aux ouvriers ordinaires une part au gouvernement est une politique qui ne peut durer.

            « Ce raisonnement spécieux reçut une réplique ingénieuse de M. Charles H. Loring dans son discours présidentiel qu'il fit devant la Société américaine des Ingénieurs techniciens, en 1892. Il admit que la civilisation moderne avait tous les avantages de l'antique esclavage sans sa cruauté. « La honte de la civilisation ancienne », dit-il « était qu'elle manquait absolument d'humanité. La justice, la bienveillance et la miséricorde n'avaient que peu de puissance ; la force, la tromperie et la cruauté les supplantaient. On ne pouvait d'ailleurs attendre rien de meilleur d'une organisation basée sur le pire système d'esclavage qui ait jamais choqué la sensibilité de l'homme. Aussi longtemps que l'esclavage humain fut à l'origine de la civilisation et son soutien, celle-ci devait être brutale, car un cours d'eau ne peut pas s'élever plus haut que sa source. Une telle civilisation, après une élévation rapide devait décliner, et l'histoire, bien que d'une manière imprécise, montre sa chute dans une barbarie aussi sombre que celle dont elle était issue ».

            « La civilisation moderne a également à sa base un travailleur esclave, mais qui diffère largement de son antique prédécesseur. Il n'a pas de nerfs et ne connaît pas la fatigue. Il n'y a aucune pause dans son travail, et il accomplit, dans un faible espace, davantage que le labeur de nations d'esclaves humains. Non seulement il est considérablement plus fort, mais aussi meilleur marché qu'eux. Il peut travailler sans arrêt, et s'occupe de toutes choses ; on peut aussi bien s'en servir pour la chose la plus délicate que pour la chose la plus grossière. Il produit toutes choses en abondance telle, que l'homme, déchargé de la plus grande partie de sa besogne servile, se rend compte pour la première fois de son titre de Seigneur de la Création. Les produits de tous les grands arts de notre civilisation, l'emploi de moyens de transport bon marché et rapide sur terre et sur l'eau, la presse, les instruments de paix et de guerre, l'acquisition du savoir de tous genres sont à la portée de tous grâce au travail de l'esclave obéissant, que nous appelons la machine à vapeur ».

            « Il est exactement vrai que la machine moderne est un esclave à la puissance productive des centaines de fois supérieure à celle des esclaves humains de l'antiquité, et par conséquent que nous avons à présent le fondement matériel pour une civilisation dans laquelle la population entière constituerait une classe de loisir, correspondant aux citoyens libres d'Athènes ; en vérité, cette classe ne serait pas libre de dissiper son temps dans l'indolence, mais elle serait déchargée des corvées les plus pénibles et serait capable de pourvoir elle-même à ses besoins de bien-être sans recourir désormais à plus de travail manuel qui ne soit compatible avec une bonne santé, une culture mentale et un divertissement raisonnable. Dans la seule Grande-Bretagne, on estime que la vapeur fait le travail de 156 millions d'hommes, nombre qui est au moins cinq fois celui des hommes qu'il y avait dans le monde entier civilisé de l'antiquité, en comptant ensemble les esclaves et les hommes libres. Aux États-Unis, la vapeur fait le travail de 230 millions d'hommes, représentant presque toute la population actuelle du globe, et nous sommes en train d'équiper des chutes d'eau avec des moteurs électriques à une allure qui semble vraisemblablement devoir estomper même cette masse numérique d'hommes.

            « Malheureusement, si nous avons un fondement matériel pour une civilisation de bien-être, de loisir et d'intelligence universellement répandue, nous n'avons pas encore appris comment en tirer profit. Nous faisons des progrès, mais nous avons encore des citoyens qui s'estiment heureux s'ils peuvent trouver l'occasion de passer tout leur temps à faire un travail épuisant ; ce sont des citoyens qui, selon notre conception politique, sont les égaux de n'importe quels autres hommes pour décider de la politique du gouvernement, mais qui n'ont aucune occasion d’acquérir des idées sur aucun autre sujet, que celui de la perspective des prochains repas.

            « La science physique nous a donné les moyens d'édifier la plus grande, la plus splendide, la plus heureuse et la plus durable civilisation dont l'histoire ait jamais eu connaissance. Il reste à la science sociale le soin de nous enseigner comment employer ces matériaux. Chaque expérience faite dans cette direction, qu'elle soit un succès ou un échec, est précieuse. En chimie, chaque découverte nécessite un millier d'expériences infructueuses. Si Kaveah et Altruria ont échoué, nous sommes néanmoins reconnaissants à leurs inventeurs de nous aider par leur échec à en prendre note et à éviter de commettre des erreurs analogues dans la marche du progrès humain ».

            Un journal de la branche commerciale du charbon, The Black Diamond, dit :

            « Nous n'avons qu'à jeter un regard sur la rapidité de transport et de communication que la houille a développée pour apprécier le fait qu'elle nous a vraiment assuré une position sans l'aide de laquelle il est difficile de saisir comment le commerce moderne pourrait être dirigé maintenant. Un seul point à propos de l'extraction mécanique de la houille, et qui est un sujet d'une sérieuse importance, est que l'on peut compter sur la machine pour fournir un travail soutenu. Les perspectives de grèves sont donc grandement diminuées, et c'est un fait à noter que partout où une grève survient maintenant, elle est souvent suivie d'une extension de l'emploi de la machine dans un nouveau domaine. L'application accrue des méthodes mécaniques de tous les côtés aligne graduellement les rapports entre des affaires analogues sur une base de règlement qui continuera à converger vers un point tel que des grèves puissent devenir presque impossibles.

            « L'électricité est encore dans sa première enfance, mais là où elle s'est un jour installée, il apparaît que c'est d'une manière permanente ; les mineurs de « diamants noirs » se trouveront bientôt devant le fait implacable que là où ils n'ont pas été chassés par la main-d’œuvre européenne à bon marché, ils ont à se mesurer avec un ennemi plus invincible, et que, dans quelques années, là où des milliers sont occupés dans la mine, des centaines feront la même somme de travail grâce aux machines d'extraction électriques ».

            The Olyphant Gazette dit :

            « La prodigieuse marche de la science et les innombrables inventions de cet âge inventif, chassent rapidement le travailleur manuel d'une foule d'industries, et des milliers d'ouvriers qui, il y a quelques années, trouvaient un emploi rémunérateur, cherchent maintenant en vain a faire quelque chose. Là où des centaines d'hommes étaient occupés dans une usine ou dans une manufacture, à présent une vingtaine d'hommes feront une plus grande somme de travail, aidés par un moyen mécanique. La linotype a jeté sur le pavé des milliers d'imprimeurs, et il en est ainsi dans les divers métiers manuels, la machine fait le travail d'une manière plus rapide, avec moins de frais et d'une façon plus satisfaisante qu'avec le travail à la main.

            « Quelles sont les perspectives ? Dans quelques années, l'extraction de l'anthracite se fera en grande partie par des machines électriques ; l'homme et le mulet, dans la mine, ne seront plus que les accessoires d'un système électrique où la force motrice qui doit se substituer à la main-d’œuvre est en jeu.

            Un autre auteur fait remarquer les faits suivants :

            « Un homme et deux jeunes aides peuvent faire le travail qui exigeait 1100 tisserands il n'y a que quelques années.

            « Un seul homme fait maintenant le travail de cinquante tisserands au temps de son grand-père.

            « Les machines à imprimer les étoffes de coton ne demandent qu'un ouvrier là où il en fallait cinq cents.

            « Une machine dirigée par un seul homme fait autant de fers à cheval en un jour que 500 hommes dans le même laps de temps.

            « Dans les scieries, 499 ouvriers sur 500 ont été renvoyés depuis l'introduction des machines modernes.

            « Une machine à fabriquer des clous fait le travail de 1100 ouvriers.

            « Dans les fabriques de papier, 95 % de la main-d’œuvre a été supprimée.

            « Dans les poteries, un seul ouvrier peut maintenant faire le travail de 1 000 ouvriers avant l'emploi des machines.

            « Pour charger et décharger des bateaux, avec les appareils  modernes, un seul homme peut actuellement faire le travail exécuté autrefois par 2000 hommes.

            « Un horloger expert peut fabriquer 250 à 300 montres par année à l'aide de machines ; 85 % du travail manuel d'autrefois sont ainsi supprimés ».

            Le Pittsburg Post notant, il y a des années, le remarquable progrès dans la fabrication du fer par des hauts fourneaux perfectionnés, dit :

            « Il y a vingt ans, en 1876, la production du fer en gueuse était, aux États-Unis, de 2 093 236 « tons » [1 « ton » = 907,20 kg — Trad.]. En 1895, la production de fer en gueuse fut, dans le County d'Allegheny, de 2 054 585 tons. En 1885, la production totale du pays était de 4 144 000 tons, tandis qu'en 1895 nous étions en tête de la production mondiale avec 9 446 000 tons ».

            Les Canadiens remarquent les mêmes conditions et les mêmes effets. The Montreal Times dit :

            « Avec les meilleures machines d'aujourd'hui, un seul homme peut produire des vêtements de coton pour 250 personnes. Un seul homme peut produire du tissu de laine pour 300 personnes. Un seul homme peut produire des chaussures et des souliers pour 1000 personnes. Un seul homme peut produire du pain pour 200 personnes. Et pourtant des milliers de personnes ne peuvent se procurer des vêtements de coton, de laine, des chaussures ou des souliers ou du pain. Il doit y avoir quelque raison à un tel état de choses. Il doit y avoir quelque remède à cet honteux état d'anarchie dans lequel nous sommes. Alors, quel est ce remède ? »

            Le Topeka State Journal dit :

            « Le Prof. Hertzka, économiste et homme d'État autrichien, a découvert que pour faire fournir par les diverses branches de l'industrie toutes les choses nécessaires à la vie de 22 000 000 d'Autrichiens, grâce aux méthodes et aux machines modernes, il ne faudrait que le travail de 615 000 hommes occupés pendant le nombre habituel d'heures. Pour leur fournir à tous les objets de luxe, il ne faudrait que 315 000 ouvriers de plus. Il calcule en outre que la population ouvrière actuelle de l'Autriche, comprenant toutes les femmes et tous les hommes âgés de 16 à 50 ans, s'élève en chiffres ronds à 5 000 000. Il fut de plus amené par ses calculs à affirmer que ce nombre d'ouvriers, tous employés et pourvus de machines et de méthodes modernes, pourrait fournir les choses nécessaires et les choses de luxe à toute la population en travaillant trente-sept jours par an, avec le même nombre d'heures que maintenant. S'ils choisissaient de travailler 300 jours par an, ils n'auraient à le faire qu'une heure et vingt minutes par jour.

            « Les chiffres du Prof. Hertzka concernant l'Autriche, s'ils sont exacts, sont applicables à peu de chose près, à tous les autres pays, sans excepter les États-Unis. Il y a, en Californie, une moissonneuse à vapeur en service, qui fauche et lie une récolte sur quatre-vingt-dix acres [1 « acre » — 40,4672 a — Trad.] par jour, sous la surveillance de trois hommes. Avec des socs multiples attachés derrière, l'appareil à vapeur de cette machine peut labourer quatre-vingt-huit acres par jour. A Brooklyn, un boulanger emploie 350 hommes et produit 70 000 pains par jour, soit à raison de 200 pains par homme employé. En fabriquant des souliers avec la machine Mc Kay, un seul homme peut en produire 300 paires dans le même temps qu'il en ferait cinq paires à la main. Dans une fabrique de matériel agricole, 500 hommes font maintenant le travail de 2 500.

            « Avant 1879, il fallait dix-sept hommes habiles pour produire 500 douzaines de balais par semaine. Maintenant, neuf hommes peuvent produire 1 200 douzaines dans le même temps. Un seul homme peut, par jour, fabriquer et achever 2 500 boîtes de fer-blanc contenant chacune 1 kg environ. A New York, une fabrique d'horlogerie peut produire plus de 1 400 montres par jour, 511 000 par an, soit à la cadence de deux ou trois montres par minute. Dans l'industrie des vêtements sur mesures, un seul homme peut, à l'aide de l'électricité, couper 500 vêtements par jour. Dans les aciéries de Carnegie, avec l'aide de l'électricité, huit hommes font le travail de trois cents. Une seule machine à faire des allumettes, servie par un garçon, peut couper 10 000 000 de bûchettes par jour. La plus récente machine à tisser peut fonctionner sans surveillance pendant toute l'heure du dîner, et une heure et demie après la fermeture de l'usine, tisse automatiquement.

            « Nous présentons ici le problème du temps actuel qui attend une solution : comment unir nos forces, et nos besoins de telle manière qu'il n'y ait pas de perte d'énergie et que personne ne manque de quelque chose ? Si ce problème est bien résolu, il est clair qu'il n'est pas besoin de fatiguer, de surmener les gens ; plus de pauvreté, plus de famine, plus de privation, plus de vagabonds. Des solutions sans nombre ont été suggérées, mais jusqu'à présent, aucune ne semble applicable sans causer à quelqu'un quelque injustice, réelle ou apparente. L'homme qui apportera au peuple la lumière sur ce sujet sera le plus grand héros et le plus grand bienfaiteur de sa race que le monde ait jamais connu ».

LA CONCURRENCE DU TRAVAIL FÉMININ, UN FACTEUR SÉRIEUX

            Il est bon aussi de considérer la concurrence féminine. En 1880, selon le recensement aux États-Unis, 2 477 157 femmes étaient engagées dans un travail rétribué. En 1890, les statistiques accusèrent le nombre de 3 914 711, soit une augmentation de plus de cinquante pour cent. Des femmes en grand nombre avaient littéralement envahi le domaine de la comptabilité, de la machine à écrire et de la sténographie. Le recensement de 1880 accusait le nombre de 11 756 femmes employées ainsi, celui de 1890 en accusait 168 374. On peut à coup sûr dire que, maintenant (1912), le nombre total des femmes engagées dans un travail rétribué, s'élève à plus de dix millions. Et maintenant, voici qu'elles aussi sont chassées par la machine. Par exemple, à Pittsburg, un établissement de torréfaction de café a installé deux machines empaqueteuses récentes surveillées par quatre femmes, ce qui a amené le renvoi de cinquante-six autres femmes.

            Ainsi, chaque jour, la concurrence devient plus intense, et chaque invention de valeur ne fait qu'ajouter à la difficulté. Des hommes et des femmes sont vraiment déchargés de besogne pénible, mais qui les soutiendra, eux et leurs familles, pendant leur chômage ?

CONCEPTIONS ET MÉTHODES, RAISONNABLES ET DÉRAISONNABLES,

DE LA CLASSE OUVRIÈRE

            Tout indique — nous ne pouvons que le confesser — qu'il y a un plus grand besoin de travail pour une armée plus grande encore de chômeurs, et en conséquence, des salaires plus bas et encore plus bas. Pour empêcher cela, des syndicats ouvriers ont été formés ils ont sûrement aidé quelque peu le maintien de la dignité, du salaire et de la respectabilité de la classe ouvrière ; ils en ont préservé beaucoup de la puissance d'écrasement des accapareurs. Mais ils ont eu leurs mauvais aussi bien que leurs bons effets. Ils ont amené les hommes à se confier en eux-mêmes et en leurs Syndicats pour recevoir conseil et assistance touchant ce dilemme, au lieu de s'attendre à Dieu et de chercher dans sa Parole à apprendre quelle est sa voie, afin qu'ils puissent y marcher et ne pas trébucher. S'ils avaient suivi cette dernière ligne de conduite, l'Éternel leur aurait donné, comme à ses enfants, « l'esprit de sobre bon sens », et les aurait guidés de son conseil. Mais tel n'a pas été le résultat, plutôt le contraire : ils n'ont confiance ni en Dieu ni en leur prochain ; leur mécontentement et leur agitation, l'irritation et l'égoïsme se sont intensifiés. Les syndicats ont cultivé le sentiment d'indépendance égoïste et de vantardise ils ont rendu les ouvriers plus arbitraires et fait détacher d'eux la sympathie des hommes bien disposés et bienveillants parmi les employeurs ceux-ci sont arrivés rapidement à la conclusion qu'il est inutile d'essayer d'avoir des rapports conciliants avec les Syndicats, et que les ouvriers doivent apprendre par une dure expérience à être moins arbitraires.

            Les ouvriers ont raison quand ils déclarent que les bénédictions et les inventions actuelles, à l'aurore du matin millénaire, devraient être utilisées au bénéfice de toute l'humanité et non pas seulement au profit de ceux dont la cupidité, le discernement pénétrant, la prévoyance et la position privilégiée ont permis de s'assurer pour eux-mêmes et pour leurs enfants la propriété des machines, et les terrains, ainsi que la richesse supplémentaire de leurs revenus quotidiens. Les ouvriers pensent que ces heureux ne devraient pas garder égoïstement pour eux seuls tout ce qu'ils peuvent acquérir, mais qu'ils devraient partager généreusement tous ces avantages avec eux ; selon eux, ils devraient le faire, non à titre de don, mais comme un ; que des riches devraient suivre non la loi de la concurrence égoïste, mais la loi divine de l'amour pour le prochain. Ils appuient leurs revendications sur les enseignements du Seigneur Jésus et citent fréquemment ses préceptes.

            Les ouvriers paraissent cependant oublier qu'ils demandent aux gens fortunés de se conformer à la loi d'amour à l'égard des moins fortunés qui, eux, désirent toujours vivre selon la loi de l'égoïsme. Est-il raisonnable de demander aux autres ce qu'ils ne désirent pas eux-mêmes leur accorder ? Et quelque désirable et recommandable que cela puisse être, est-ce sage de l'espérer ? Sûrement pas. Ceux-là mêmes qui réclament à grands cris que ceux qui sont plus fortunés qu'eux  devraient partager avec eux, sont tout à fait peu disposés à partager ce dont ils disposent avec d'autres moins fortunés qu'eux-mêmes.

            Un autre résultat de la loi de l'égoïsme dans les affaires humaines est qu'une majorité du nombre, comparativement petit, des hommes qui ont un bon jugement, est absorbée par les grandes entreprises commerciales, les trusts, etc., d'aujourd'hui, tandis que ceux qui donnent des conseils aux syndicats ouvriers sont souvent des hommes de jugement ordinaire ou médiocre. D'ailleurs, il est peu probable qu'un bon conseil, un avis sage, soit accepté quand on l'offre. Les ouvriers ont appris à être soupçonneux, et beaucoup d'entre eux maintenant présument que ceux qui présentent un avis sensé sont des espions et des émissaires du parti des employeurs. La majorité d'entre eux sont déraisonnables et ne sont soumis qu'aux rusés qui flattent les lubies des plus ignorants afin d'être leurs conducteurs confortablement payés.

            Que ce soit du fait de l'ignorance ou d'un mauvais jugement, une bonne moitié des conseils donnés et suivis se sont prouvés mauvais, peu sages, et défavorables pour ceux qui auraient dû en bénéficier. Nul doute que la difficulté vient en grande partie de ce que, se reposant sur le bras de la force humaine, les ouvriers négligent la sagesse d'en haut qui est « premièrement pure, ensuite paisible, modérée, traitable, pleine de miséricorde et de bons fruits, sans partialité, sans hypocrisie ». C'est pourquoi ils n'ont pas « l'esprit [disposition] de sobre bon sens », pour les guider. Jacq. 3 : 17 ; 2 Tim. 1 : 7.

            Ils s'imaginent que, par des syndicats, des boycottages, etc., ils peuvent maintenir dans quelques branches le salaire du travail au double et au triple de celui qui est payé pour d'autres genres de travaux. Ils oublient d'observer que dans les nouvelles conditions de la mécanique, il ne faut plus, comme autrefois, des années pour apprendre un métier ; que, par l'instruction générale donnée à l'école primaire et par les revues, des milliers peuvent apprendre rapidement à faire ce que peu comprenaient autrefois ; ils oublient d'observer que le surplus de main-d’œuvre, en faisant s'effondrer les prix dans un commerce ou dans une industrie, fera entrer ce surplus en compétition pour obtenir un emploi plus facile ou plus rémunérateur dans d'autres directions, et cela, finalement, d'une manière irrésistible par la pression du nombre. Les hommes ne refuseront pas sous peine d'avoir faim et de voir leur famille également affamée, d'accepter pour un ou deux dollars par jour une situation qui est payée maintenant à un autre trois ou quatre dollars.

            Aussi longtemps que les conditions sont favorables — la main-d’œuvre produisant moins que la demande ou la demande de marchandises étant supérieure à la production — les Syndicats ouvriers peuvent accomplir et accomplissent un bien considérable pour leurs membres, en maintenant de bons salaires, un travail à des heures favorables et dans des conditions saines. Mais, sur ce sujet, c'est une erreur de juger l‘avenir un se basant sur le passé, et de compter sur les Syndicats pour contrecarrer la loi de l'offre et de la demande. Que le travailleur considère sa seule espérance, l'Éternel, et qu'il ne s'appuie pas sur le bras de chair.

LA LOI DE L'OFFRE ET DE LA DEMANDE

REPOSE INEXORABLEMENT SUR TOUS LES HUMAINS

            La base sur laquelle reposent actuellement les affaires, pour les petits et pour les grands, pour les riches et pour les pauvres, est comme nous l'avons vu, dépourvue de tout sentiment d'amour ; elle est oppressive, égoïste. Les produits manufacturés sont vendus par les fabricants et les marchands au prix le plus élevé qu'ils peuvent en tirer ; d'autre part, ils sont achetés par le public au prix le plus bas que ce dernier peut se les procurer. La question de valeur réelle de la marchandise est même rarement prise en considération, sauf d'un point de vue égoïste. Les céréales et les produits de la ferme sont vendus par le fermier au plus haut prix possible, et sont achetés par les consommateurs au plus bas prix possible. La main-d’œuvre et le savoir-faire, également, se font payer au prix le plus élevé possible de la part de leurs possesseurs, et sont rétribués au prix le plus bas possible par les fermiers, les négociants et les fabricants selon leurs besoins.

            Le fonctionnement et l'application de cette « loi de l'offre et de la demande », sont absolus : personne ne peut les modifier ; personne ne peut les ignorer entièrement et vivre dans les conditions sociales présentes. Supposez, par exemple, qu'un fermier dise : « Je mets au défi cette loi qui gouverne maintenant le monde. Le prix du froment est de soixante « cents » le boisseau [1 « cent » = 1 centième de dollar ; 1 boisseau = 35,23 l environ — Trad.], mais il devrait être de un dollar le boisseau afin de rétribuer convenablement  mon travail personnel et la main-d’œuvre que j'emploie ; je ne vendrai donc pas mon froment au-dessous d'un dollar le boisseau ». Quel serait le résultat ? Son froment pourrirait, sa famille n'aurait pas d'argent pour se vêtir, ses ouvriers seraient privés de leur salaire à cause de sa lubie, et l'homme à qui il a emprunté de l'argent s'impatienterait de ne pas se voir rembourser et lui ferait vendre sa ferme, et son froment, et tous ses biens, pour couvrir la dette.

            Ou bien, considérez l'exemple d'un autre point de vue. Supposez que le fermier dise : « Actuellement, je paie mes ouvriers de ferme trente dollars par mois, mais j'apprends que dans une ville voisine, des ouvriers qui ne font pas un travail plus pénible et qui font même moins d'heures, sont payés de cinquante à cent dollars par mois. Je suis décidé, à partir de maintenant, à avoir des journées de travail de huit heures, et de donner des salaires mensuels de soixante dollars toute l'année ». Que résulterait-il d'une pareille tentative de défier la loi de l'offre et de la demande ? Il se trouverait probablement sous peu dans les dettes. Bien sûr, ce serait possible si tous les fermiers des États-Unis payaient les mêmes salaires, et si tous vendaient à juste prix ; mais à la fin de la saison, les silos seraient pleins de blé, car l'Europe achèterait ailleurs. Et puis après ? Eh bien, la nouvelle serait télégraphiée à l'Inde, à la Russie et à l'Amérique du Sud, et les producteurs de blé là-bas enverraient ici par mer leurs cargaisons de blé, rompraient ce qu'on appellerait l'Union des Fermiers, et fourniraient aux pauvres du pain à bon marché. Évidemment, un tel arrangement, s'il pouvait avoir lieu, ne pourrait guère durer plus d'une année.

            Cette même loi du présent ordre social des choses — la loi de l'offre et de la demande régit — également toutes les autres productions du travail ou de la capacité de l'homme, variant selon les circonstances.

            Dans cette grande République, les conditions ont été favorables à une  demande considérable, à des salaires élevés et à de gros bénéfices, en raison des tarifs douanier protecteurs contre la concurrence européenne ; la tendance a été l'entrée ici de capitaux européens pour être investis à cause de meilleurs profits, et la main-d’œuvre et le savoir-faire des étrangers sont également arrivés ici parce qu’ils pouvaient être mieux rétribués que chez eux. Tout cela n'était que la conséquence de la loi de l'offre et de la demande. Les millions qui ont été placés dans l'industrie et dans les chemins de fer, dans des immeubles de rapport et dans les produits courants de première nécessité, tous ces capitaux ont depuis des années fait des États-Unis le pays du monde le plus remarquable pour sa prospérité. Toutefois, le point culminant de cette prospérité est passé, et nous sommes sur la pente descendante. Rien ne peut l'empêcher, sauf s'il y avait dans d'autres nations civilisées la guerre ou d'autres calamités qui, pour un temps, passeraient les affaires du monde aux nations en paix. La guerre entre la Chine et le Japon a soulagé légèrement la tension, non seulement à cause des armes et des munitions achetées par les belligérants, mais également à cause des indemnités payées par la Chine au Japon lequel, à son tour, dépensa cet argent à l'achat de navires de guerre construits dans divers pays, en particulier en Grande-Bretagne. De plus, se rendant compte que le Japon est maintenant une « puissance maritime », les gouvernements européens et les États-Unis ont été amenés à augmenter leur équipement naval. Rien ne pouvait être plus à courte vue que le meeting monstre récent que tinrent les travailleurs à New York pour protester contre les dépenses supplémentaires pour la défense navale et côtière des États-Unis. Ils devraient discerner que de telles dépenses aident à maintenir le plein emploi. Bien que nous soyons opposés à la guerre, nous n'en sommes pas moins opposés à ce que des hommes meurent de faim, faute d'emploi et nous prendrions le risque d'augmenter le danger de guerre. Laissez convertir les dettes du monde en bons (du trésor). Ils vaudront exactement ce que vaudront l'or et l'argent dans le grand temps de détresse qui approche — Ézéchiel 7 : 19 ; Soph. 1 : 18.

            Beaucoup de gens se rendent compte que la concurrence est le danger ; en conséquence, le « Projet de loi concernant l'exclusion des Chinois » a été voté, non seulement pour arrêter l'immigration des millions de Chinois, mais pour prendre des mesures en vue d'expulser de ce pays tous ceux qui ne deviennent pas des citoyens. Pour arrêter l'immigration en provenance de l'Europe, une loi fut votée interdisant le débarquement d'immigrants ne sachant pas lire une langue, etc. Beaucoup discernent que sous la loi de l'offre et de la demande, la main-d’œuvre sera bientôt au même niveau dans le monde entier ; aussi désirent-ils empêcher autant que possible, et aussi longtemps que possible, la dépréciation de la main-d’œuvre aux États-Unis au niveau soit de la main-d’œuvre en Europe, soit de la main-d’œuvre en Asie.

            D'autres cherchent un remède sous forme de loi il serait décidé que les fabricants paieront des salaires élevés et vendront leurs produits avec un faible bénéfice marginal. Ceux-là oublient que si le Capital ne rapporte pas ici, il s'en ira ailleurs pour construire, employer et fabriquer, là où les conditions sont favorables, où les salaires sont moins élevés ou les prix plus avantageux.

            Cependant, la perspective du proche avenir dans les conditions présentes apparaît plus sombre encore, lorsque nous prenons une vue plus large encore du sujet. La loi de l'offre et de la demande, régit le capital aussi bien que le travail. Le Capital est aussi vigilant que le Travail pour chercher un emploi avantageux. Lui aussi se tient informé et il est sollicité çà et là à travers le monde. Mais le Capital et le Travail suivent des routes opposées et sont dirigés par des conditions opposées. Le Travail, habile, cherche les localités où les salaires sont les plus élevés ; le Capital cherche les régions où les salaires sont les plus bas, afin de pouvoir ainsi retirer les plus grands profits.

            Les machines ont bien servi le Capital et continuent à le servir avec fidélité, mais au fur et à mesure que le Capital s'accroît et que les machines se multiplient, il s'ensuit une « surproduction » ; autrement dit, on produit plus qu'on ne peut vendre avec bénéfice ; et la concurrence, des prix plus bas et de moins gros bénéfices, en résulte. Tout cela aboutit à des unions qu'on appelle des « trusts », pour le maintien des prix et des profits, mais il est douteux qu'on puisse longtemps maintenir ces prix et ces profits, sauf en ce qui concerne des articles brevetés, ou des marchandises dont l'offre est très limitée, ou soutenue par la législation et qui, tôt ou tard, sera corrigée.

PERSPECTIVE EFFRAYANTE

DE LA CONCURRENCE INDUSTRIELLE ÉTRANGÈRE

            Or, c'est dans ce même temps que s'ouvre un nouveau champ pour l'esprit d'entreprise et pour le capital, mais non pour la main-d’œuvre. Le Japon et la Chine s'éveillent à la civilisation occidentale après un sommeil qui a duré des siècles ; ils apprécient maintenant la vapeur, l'électricité, la machine et les inventions modernes en général. Nous devons nous souvenir que la population du Japon correspond à peu près à celle de la Grande-Bretagne ; et que la population de la Chine est plus de cinq fois celle des États-Unis. Souvenons-nous aussi que ces millions de gens ne sont pas des sauvages, mais des gens qui, en général, peuvent lire et écrire leur propre langue, et que leur civilisation, bien que différente, est bien plus vieille que celle de l'Europe, qu'ils étaient civilisés et fabriquaient des vases de Chine et des objets de soie, alors que la Grande-Bretagne était peuplée de barbares. C'est pourquoi nous ne devons pas être surpris d'apprendre que le Capital cherche à faire des affaires en Chine, et au Japon en particulier : y construire des chemins de fer, y transporter des machines, y bâtir de grandes usines, afin qu'ainsi, il puisse utiliser l'habileté, l'énergie, le sens de l'économie, la patience et la soumission de ces millions habitués au travail pénible et à la frugalité.

            Le Capital envisage de grands profits dans un pays ou il peut avoir de la main-d’œuvre avec un salaire de six a quinze « cents » par jour, salaire accepté sans murmure et avec remerciements. Des capitaux considérables sont déjà partis au Japon, et d'autres attendent leur admission en Chine. Qui ne peut discerner qu'il ne faudra que le court espace de quelques années à peine pour amener le monde industriel tout entier en concurrence avec ces millions de gens déjà habiles et doués pour apprendre ? En Europe, on trouve les salaires actuels insuffisants ; aux États-Unis, à cause des généreux salaires d'autrefois (en comparaison avec l'Europe et l'Asie) des idées et des habitudes de prodigalité cultivées ici, nous considérons les salaires actuels comme des « salaires de famine » (bien qu'ils soient encore le double de ce qui est payé en Europe et huit fois ce qui est payé en Asie) ; quelle sera la condition déplorable des travailleurs à travers le monde civilisé après trente années de plus d'inventions et de fabrication de machines-outils, et après que tous les travailleurs du monde auront été étroitement mis en compétition avec la main-d’œuvre à bon marché de l’Extrême-Orient ? Il s’agira, non seulement de salaire quotidien de quinze « cents » mais en outre de six hommes pour chaque besogne avec cette ration congrue. Il y a quelques années, la presse publique remarqua le transfert d'une filature de coton du Connecticut au Japon, et depuis d'autres fabricants y sont partis, afin de s'assurer un champ de main-d’œuvre à meilleur marché et, en conséquence, de plus gros bénéfices.

            L’Empereur d'Allemagne a certainement vu s'approcher cette guerre industrielle ; il l'a représentée symboliquement dans le tableau célèbre peint sous sa direction par un artiste et offert au Tsar de Russie. Le tableau représente les nations d'Europe sous des personnages féminins revêtus d'armures, qui se tiennent debout sous la lumière jaillissant d'une croix dans le ciel, au-dessus d'eux ; sur l'instruction d'un personnage angélique représentant Micaël, ces personnages féminins regardent, s'élevant de la Chine et flottant vers eux, un nuage noir, duquel des formes et des visages hideux sont révélés par la lueur d'un éclair. Sous le tableau, on lit ces mots : « Nations d'Europe ! Unissez-vous pour défendre votre Foi et vos Foyers ».

L'HOMME JAUNE AVEC L'ARGENT BLANC

(*) [ou la monnaie d’argent — Trad.]

            Voici un extrait tiré d'un excellent article paru dans le Journal of the Imperial  Colonial Institute (anglais) de la plume de M. Whitehead, membre du Conseil législatif à Hong-Kong (Chine ). Il écrivait :

            « Jusqu'ici, les Chinois n'en sont qu'au début de la construction de filatures et d'usines de tissage. Sur le fleuve Yang-Tsé et aux environs de Changhaï, quelque cinq usines fonctionnent déjà, et d'autres sont en voie de construction. On estime qu'elles contiendront environ 200 000 broches et certaines ont commencé à travailler. Le capital employé est entièrement indigène, et la paix étant revenue dans ces régions, il n'y a, avec une honnête et compétente administration tant que notre système monétaire actuel continue, réellement aucune limite à l'expansion  et au développement des industries dans les pays orientaux ».

            A ce propos, nous mentionnons dans le même ordre d'idées, une dépêche de Washington (D.C.) qui parut déjà, en 1896, annonçant un rapport fait au gouvernement par le Consul général Jernigan, placé au poste de Changhaï. Dans ce rapport, il fait état du grand intérêt réservé à l'industrie cotonnière, de l'introduction et de la prospérité des filatures de coton depuis 1890, du commencement de plantations de graines à huile de coton : il indique également qu'en Chine, la zone propre à la culture du coton étant presque aussi illimitée que l'embauche d'une main-d’œuvre à bon marché, « il ne peut y avoir aucun doute que la Chine sera bientôt un des plus grands pays producteurs de coton dans le monde ».

            M. Whitehead, discutant de la guerre de 1894 entre la Chine et le Japon, déclare que c'est en elle que repose le principal espoir de la résurrection industrielle de la Chine. Il continue :

            « L'issue de la guerre actuelle peut aider le peuple chinois à se libérer de l'étreinte des mandarins. On sait que les ressources minérales et autres de la Chine sont énormes, et à leur porte, les Chinois ont des millions d' « acres » de terrains admirablement adaptés à la culture du coton, lequel, bien que de courte fibre, est approprié au mélange avec d'autres qualités. En décembre 1893, sur le fleuve de Changhaï, il n'y eut, à un moment donné, pas moins de cinq transatlantiques qui prirent en cargaisons, du coton chinois pour le transporter au Japon où il devait être transformé par des filatures et par des mains japonaises en fil et en tissu. A présent, les Japonais importent directement leur coton pour leurs filatures d'Amérique et d'ailleurs. Après ce terrible réveil, si la Chine, avec ses trois cents millions d'habitants intensément laborieux, ouvrait ses vastes provinces intérieures par l'introduction de chemins de fer, ses cours d'eau intérieurs à la navigation des vapeurs et ses ressources illimitées au développement, il est impossible d'en mesurer les conséquences. Cela signifierait la découverte en pratique d'un nouvel hémisphère, abondamment peuplé de races laborieuses, et abondant en ressources agricoles, minérales et autres ; mais, loin que l'ouverture de la Chine que nous pouvons raisonnablement espérer comme devant être, l'un des résultats de la guerre actuelle, soit au bénéfice des fabricants anglais (à moins de quelque changement, et cela bientôt, dans notre système monétaire), le Céleste Empire, qui a été le théâtre de tant de nos victoires industrielles, sera seulement de champ de notre grande défaite ».

            L'opinion de M. Whitehead est purement capitaliste quand il parle de « défaite » car en fait, la  « défaite » se fera sentir plus lourdement encore sur les travailleurs anglais. Il continue en faisant allusion au japon, comme suit :

            « Les environs d'Osaka et de Kyoto offrent maintenant le spectacle surprenant d'une activité industrielle. Dans un laps de temps très bref, pas moins de cinquante-neuf filatures et usines y ont fait leur apparition, avec l'aide de plus de vingt millions de dollars d'un capital entièrement national. Elles comportent maintenant 770 874 broches, et en mai dernier, des autorités compétentes ont estimé le rendement annuel de ces filatures à plus de 500 000 balles de coton filé , d'une valeur approximative de quarante millions de dollars, soit au change actuel, disons quatre millions de livres sterling [de l'époque Trad.]. En bref, les industries japonaises, non seulement de filage et de tissage, mais de tous genres, ont progressé par sauts et par bonds. D'ores et déjà, elles ont porté leur succès à un point tel qu'elles peuvent, dans une large mesure, faire peu de cas de la concurrence industrielle britannique ».

            M. Whitehead se met ensuite à démontrer que les capitalistes d'Europe et des États-Unis, ayant démonétisé l'argent, ont presque doublé la valeur de l'or, et que cela a presque doublé l'avantage de la Chine et du Japon. Il déclare :

            « Permettez-moi d'expliquer que l'argent continuera à employer le même nombre d'ouvriers orientaux qu'il y a vingt ou trente ans. Par conséquent, l'imperfection de notre étalon monétaire permet aux pays orientaux d'employer maintenant au moins cent pour cent de plus de main-d’œuvre pour un total donné d'or qu'ils ne pouvaient le faire il y a vingt-cinq ans. Pour rendre tout à fait claire cette importante déclaration, permettez-moi de donner l'exemple suivant : en 1870, dix roupies étaient l'équivalent d'un souverain sous l'étalon associé de l'or et de l'argent, et constituaient le montant des salaires de vingt hommes par jour. Aujourd'hui, vingt roupies sont environ l'équivalent d'un souverain, de sorte que pour vingt roupies, on peut employer quarante hommes pour une journée, au lieu de vingt hommes comme en 1870. Contre un tel handicap, aucune concurrence de la main-d’œuvre britannique n'est possible.

            « Dans les pays orientaux, l'argent servira encore à payer le même nombre d'ouvriers qu'auparavant. Cependant, par rapport à l'or maintenant, l'argent vaut moins de la moitié de l'or qu'il équivalait autrefois. Par exemple : il y a vingt ans, en Angleterre, on pouvait employer un certain nombre d'ouvriers pour disons, huit shillings. Aujourd'hui, en Angleterre, on ne pourra pas employer plus d'ouvriers qu'alors pour vingt shillings, les salaires étant à peu près les mêmes ; par notre loi, ces vingt shillings ont exactement la même valeur monétaire qu'autrefois, bien que leur valeur en tant que métal, ait été par rapport à, l'appréciation de l'or, réduite à moins de six pence pour un shilling [1 livre sterling — autrefois souverain en or — = 20 shillings ; 1 shilling = 12 pence, en valeur monétaire — Trad.]. Les deux dollars exactement semblables aux anciens, peuvent employer le même nombre d'ouvriers qu'auparavant, mais pas davantage, et cependant, au prix actuel de l'or, ils ne correspondent qu'à la valeur de quatre shillings. Par conséquent, il est possible maintenant d'employer autant d'ouvriers en Asie pour quatre shillings de notre monnaie, ou l'équivalent de cela en argent, qu'il pouvait en être employé il y a vingt ans pour huit shillings, ou leur équivalent en argent. La valeur de la main-d’œuvre orientale ayant ainsi été réduite de plus de 55 % en monnaie d'or, comparée à ce qu'elle était autrefois, elle sera capable de produire des produits manufacturés et des marchandises au même pourcentage moins cher que la main-d’œuvre des pays à l'étalon or. En conséquence, à moins que notre loi monétaire ne soit amendée, ou à moins que la main-d’œuvre britannique ne soit prête à accepter une forte réduction de salaires, les affaires industrielles britanniques doivent inévitablement quitter les rives britanniques, parce que leurs produits seront supplantés par l'établissement d'industries dans les pays d'étalon d'argent ».

            M. Whitehead aurait pu, en vérité, ajouter que bientôt les pays d'étalon argent seront non seulement prêts à pourvoir à leurs propres besoins, mais également à envahir les pays d'étalon or. Par exemple, le Japon pourrait vendre en Angleterre des marchandises à des prix inférieurs d'un tiers à ceux qui ont cours au Japon, et en échangeant en monnaie d'argent la monnaie d'or reçue, il pourrait rapporter au Japon de larges bénéfices. Ainsi, les techniques américaine et européenne seront non seulement forcées d'entrer en concurrence avec la main-d’œuvre asiatique bon marché, patiente et habile, mais en plus, elles seront désavantagées dans cette compétition à cause de la différence entre les étalons or et argent du change financier.

            Commentant la conférence de M. Whitehead, le Daily Chronicle (Londres) attire l'attention sur le fait que l'Inde a déjà grandement supplanté l'industrie cotonnière de l'Angleterre. Il écrit :

            « La conférence de l’Hon. T. H. Whitehead à l'Institut colonial, hier soir, a attiré l'attention sur quelques chiffres étonnants en rapport avec notre commerce occidental. On ne peut malheureusement contester en rien le fait que, durant les quatre dernières années, nos exportations accusent une diminution de 54 000 000 de £. Les statistiques des soixante-sept compagnies de filatures du Lancashire pour 1894 accusent une balance défavorable totale de 411 000 £. Contre cela, l'augmentation dans l'exportation du fil et du tissu indiens au Japon a été simplement colossale, et les filatures de coton à Hiogo (Japon) pour 1891, ont montré en moyenne un bénéfice de dix-sept pour cent. Sir Thomas Sutherland a déclaré que, sous peu, la Compagnie péninsulaire et orientale pourra construire ses navires sur le Yang-Tsé, et M. Whitehead croit que les pays orientaux seront bientôt en compétition sur les marchés d'Europe. Quelles que soient nos divergences au sujet des remèdes proposés, des déclarations comme celles-ci de la bouche d'experts fournissent matière à sérieuses réflexions ».

            Un journal allemand, Tageblatt, de Berlin, a examiné de près la question de la victoire décisive du Japon sur la Chine, et fut surpris de l'intelligence qu'il y a trouvée. Il déclara que le comte Ito le Premier ministre japonais, était un autre Bismarck, et que les Japonais, en général, étaient, parfaitement civilisés. Il conclut par une remarque très significative touchant la guerre industrielle que nous sommes en train d'examiner, disant :

            « Le comte Ito montre beaucoup d'intérêt au développement industriel de sa patrie. Il croit que la plupart des étrangers sous-estiment les chances du Japon dans la lutte internationale pour la suprématie industrielle. Les femmes japonaises, pense-t-il, valent les hommes dans tous les champs du travail, et elles doublent ainsi la capacité de travail de la nation ».

            Le rédacteur en chef de l'Économiste français (Paris), commentant à propos du Japon et de ses affaires, dit d'une manière significative :

            « Le monde a franchi une nouvelle étape. Les Européens doivent compter avec de nouveaux facteurs de civilisation. Les Puissances doivent cesser les querelles entre elles et doivent montrer un front uni ; elles doivent se souvenir que, désormais, des centaines de millions d'ouvriers en Extrême-Orient — sobres, durs au travail et à l'esprit prompt — seront nos rivaux ».

            M. George Jamison, consul général britannique à Changhaï (Chine), a écrit sur le sujet de la Concurrence orientale, en montrant que la démonétisation et par conséquent la dépréciation de l'argent, en laissant dans les pays civilisés l'or comme étalon monétaire, est un autre point qui déprécie le Travail et profite au Capital. Il déclarait :

            « L'élévation continuelle de la valeur de l'or, comparée à celle de l'argent, a changé toutes choses. Les marchandises britanniques sont devenues si chères dans leur valeur-argent que l'Orient a été obligé de fabriquer pour lui-même, et la chute de la valeur de l'argent-métal l'a tellement aidé dans son travail que non seulement il peut se suffire à lui-même, mais qu'il est capable d'exporter avantageusement ses propres marchandises. La hausse de la valeur de l'or a doublé le prix en argent des marchandises britanniques en Orient et a rendu leur utilisation presque prohibitive, tandis que la chute de la valeur de l'argent a fait baisser de plus de la moitié le prix‑or  des marchandises orientales dans les pays utilisant l'or, en provoquant continuellement l'augmentation dans la demande de ces marchandises. Les conditions sont si inégales qu'il paraît impossible, de continuer longtemps la lutte. C'est comme si on handicapait un champion en donnant à son adversaire la moitié de la distance à courir.

            « L'impossibilité pour l'Europe de concurrencer l'Asie sur le marché ouvert, a été prouvée en Amérique. Là, les chinois, grâce leurs bas salaires, ont monopolisé la main-d’œuvre à tel point qu'on dut les exclure du pays, sinon les travailleurs européens seraient morts de faim ou auraient été expulsés. Mais les pays européens ne sont pas menacés, comme le furent les Américains, par le travailleur lui-même (il connaissait le prix de la main-d’œuvre européenne, et pouvait apprendre, comprendre combien il pourrait obtenir pour lui-même), mais par les produits de cette main-d’œuvre fabriqués au prix de salaires orientaux. En outre, il serait relativement facile de refuser d'employer un Oriental pour faire votre travail, tandis qu'il est difficile de refuser d'acheter des marchandises fabriquées par lui, en particulier si leur qualité s'améliore et si leur prix est bon marché. La tentation de les acheter devient d'autant plus grande que l'argent gagné par le travailleur britannique perd de sa valeur. IL est d'autant plus enclin à le faire et à refuser d'acheter ses marchandises fabriquées par lui mais plus chères. Les pays partisans du protectionnisme sont en meilleure position. Ils peuvent imposer des droits plus élevés sur les marchandises orientales, et ainsi les empêcher d'inonder leurs propres marchés. Mais l'Angleterre, avec son libre-échange n'a aucune défense, et le poids du fardeau retombera sur ses ouvriers. Le mal s'aggrave. Chaque farthing [1/4 de penny, soit le 48e d'un shilling — Trad.] d'augmentation du prix de l'or comparé à celui de l'argent augmente de 1 % le prix des marchandises anglaises en Orient, tandis que chaque farthing de baisse dans la valeur de l'argent fait baisser de 1% le prix des marchandises orientales dans les pays qui emploient l'étalon-or. Ces nouvelles industries se développent très rapidement au Japon, et ce qui est en train de se faire là-bas peut se faire et se fera en Chine, en Inde et en d'autres lieux. Une fois bien établies, l'Orient les maintiendra, en dépit de toute opposition, et si quelque remède n'est pas rapidement trouvé pour changer le système monétaire du monde, leurs produits se répandront dans le monde entier à la ruine des industries britanniques et au désastre incalculable de milliers et de milliers de travailleurs ».

            M. Lafcadio Hearn qui, pendant plusieurs années, enseigna au Japon, a écrit un article dans l'Atlantic Monthly, en octobre 1895, où il fait ressortir l'une des raisons pour lesquelles la concurrence japonaise est si âpre : c'est que les pauvres peuvent vivre et déménager et avoir leur existence, d'une manière confortable, selon leurs idées de confort, à très peu de frais. Il explique qu'une ville japonaise est faite de maisons de boue, de bambou et de papier, bâties en cinq jours et destinées à ne durer, avec de continuelles réparations, qu'aussi longtemps que leurs propriétaires ne désireront pas changer de lieu de séjour. En fait, il n'y a pas de grands bâtiments au Japon, excepté quelques forteresses colossales construites par les nobles au temps du féodalisme. Au Japon, les usines modernes, ne sont que des cabanes allongées, quelle que soit l'importance de leurs affaires ou quelles que soient la beauté et la somptuosité de leurs produits. Leurs temples mêmes doivent, en raison d'une coutume immémoriale, être taillés en morceaux tous les vingt ans et distribués aux pèlerins. Un ouvrier japonais ne s'enracine jamais ni ne désire s'enraciner. S'il a quelque raison de changer de province, il le fait immédiatement, démantèle sa maison, la hutte de papier et de boue qui est si pittoresque et si propre, emballe ses affaires sur son épaule, dit à sa femme et à sa famille de le suivre et s'en va à pied d'un pas léger et le cœur plus léger encore pour une destination lointaine, peut-être à cinq cents miles [800 km environ —Trad.] de là, où il arrivera, après avoir dépensé au maximum 5 s. (1 dollar, 22). Là, Il se construit immédiatement une maison qui lui coûte quelques shillings de plus, et tout de suite, il est de nouveau un citoyen respectable et responsable. M. Hearn déclare :

            « Tout le Japon est toujours en mouvement de cette manière, et le changement constitue le génie de la civilisation japonaise. Dans la grande concurrence industrielle du monde, la fluidité est le secret de la force japonaise. L'ouvrier change sans aucun regret son habitation pour le lieu où il est le plus demandé. L'usine peut être déménagée dans l'espace d'une semaine, l'artisan en l'espace d'une demi-journée. Il n'y a aucuns bagages à transporter, il n'y a pratiquement rien à construire, il y a peu de dépenses à faire qui puissent retarder le voyage.

            « L'homme du peuple japonais — l'ouvrier habile capable d'offrir sans efforts des conditions plus avantageuses que n'importe quel artisan occidental dans le même genre d'industrie — demeure heureusement indépendant tant du cordonnier que du tailleur. Ses pieds sont beaux à voir, son corps est sain et son cœur est libre. S'il désire parcourir mille miles [1 « mile = 1,6093 km] il peut être prêt pour son voyage en cinq minutes. Le trousseau complet qui lui est nécessaire ne coûte pas soixante-quinze « cents » [1 « cent » = 1/100 de dollar], et tout son bagage peut être placé dans un mouchoir. Avec dix dollars, il peut voyager pendant un an sans travailler, ou il peut simplement voyager tout en travaillant, ou il peut voyager en pèlerin. Peut-être répondrez-vous que n'importe quel sauvage peut en faire autant. D'accord, mais n'importe quel civilisé ne le peut pas, et le Japonais a été un homme de haute civilisation depuis au moins un millier d'années. C'est pourquoi sa capacité présente menace les fabricants occidentaux ».

            Commentant ce qui précède, le Spectator, de Londres, dit :

            « C'est là une esquisse tout à fait digne d'attention, et nous reconnaissons franchement, comme nous l'avons toujours reconnu, que la concurrence japonaise est une chose formidable qui pourrait un jour affecter profondément toutes les conditions de la civilisation industrielle européenne ».

            On se rendra compte du caractère de la concurrence à attendre de ce côté en lisant l'extrait suivant du Literary Digest sur

« LA CONDITION DU TRAVAIL AU JAPON »

            Le Japon a réalisé des progrès étonnants dans le développement de ses industries. Ceci est dû dans une mesure non négligeable à l'intelligence et à l'activité de ses ouvriers qui travaillent souvent quatorze heures par jour sans se plaindre. Malheureusement, leurs employeurs abusent grandement de cette complaisance ; leur seul but semble être de triompher de la concurrence étrangère. Tel est, en particulier le cas dans l'industrie cotonnière qui emploie un grand nombre de mains. Un article de l'Écho, de Berlin, décrit comme suit le fonctionnement des usines japonaises :

            « Le temps habituel de commencer le travail est six heures du matin, mais les ouvriers acceptent de venir à n'importe quelle heure, et ne se plaignent pas si on leur ordonne d'arriver à quatre heures. Les salaires sont étonnamment bas ; même dans les centres industriels les plus importants, les tisserands et les fileurs ne gagnent en moyenne que quinze « cents » par jour, et les femmes reçoivent seulement six « cents ». Les premières usines furent bâties par le gouvernement qui les remit plus tard à des compagnies par actions. L'industrie la plus prospère est la manufacture de tissus de coton. Un seul établissement, celui de Kanegafuchi, emploie 2 100 hommes et 3 700 femmes. Ils sont divisés en équipes de jour et de nuit et n'interrompent leur travail de douze heures qu'une seule fois, pendant quarante minutes, pour prendre un repas. Près de l'établissement se trouvent des cantines où les ouvriers peuvent également obtenir un repas au prix de moins d'un « cent » et demi. Les filatures d'Osaka sont semblables. Tous ces établissements possèdent d'excellentes machines anglaises, le travail se poursuit jour et nuit, de gros bénéfices sont réalisés. Nombre des usines créent des filiales, ou bien augmentent leur outillage, car la production n'est pas encore au niveau de la consommation.

            « Les statistiques, qui montrent que trente-cinq filatures emploient 16 879 femmes et seulement 5 730 hommes, prouvent que les fabricants ont appris rapidement à préférer la main-d'œuvre féminine moins payée à celle des hommes. Les employeurs forment un syndicat puissant et abusent souvent de l'indulgence des autorités qui ne désirent pas paralyser les industries. Des petites filles de huit et neuf ans sont forcées de travailler de neuf à douze heures. La loi exige que ces enfants soient à l'école et les maîtres se plaignent, mais les officiels ferment les yeux devant ces abus. La grande obéissance et l'humilité des ouvriers ont conduit à un autre abus qui les place complètement à la merci de leurs employeurs. Aucune usine n'emploiera un travailleur qui vient d'un autre établissement s'il ne peut produire un certificat de son dernier employeur. Cette règle est imposée si strictement que toute nouvelle main est étroitement surveillée, et s'il est prouvé que l'ouvrier connaît déjà quelque chose du métier mais n'a pas de certificat, il est immédiatement renvoyé ».

            Le British Trade Journal a également publié un compte rendu touchant les industries d'Osaka, d'après une lettre d'un correspondant de l'Observer d'Adélaïde (Australie). Ce correspondant qui écrit directement d'Osaka, est si impressionné par la variété et la vitalité des industries de la ville qu'il l'appelle « La Manchester de l'Extrême-Orient » :

            « On se fera quelque idée de l'importance de l'industrie manufacturière d'Osaka quand on saura qu'il y a un grand nombre d'usines au capital de plus de 50 000 yens [1/3 de « cent », soit 1/300 de dollar — Trad.] et de moins de cette somme, plus de trente ayant chacune un capital de plus de 100 000 yens, quatre de plus de 1 000 000 de yens, et une de 2 000 000 de yens. Ces industries portent sur la soie, la laine, le coton, le chanvre, le jute, le filage et le tissage, les tapis, les allumettes, le papier, le cuir, le verre, les briques, le ciment, la coutellerie, l'ameublement, les parapluies, le thé, le sucre, le fer, le cuivre, l'airain, le saké [boisson japonaise alcoolisée faite avec du riz — Trad.], le savon, les brosses, les peignes, des articles de fantaisie, etc. C'est, en fait une grande ruche d'activité et d'entreprise, dans laquelle le génie imitatif et la persévérance opiniâtre des Japonais ont amené ces derniers à égaler, et, si possible, à surpasser les ouvriers et artisans des vieilles nations civilisées de l'Occident.

            « Il y a, à Osaka, dix filatures de coton qui marchent ; l'ensemble de leurs capitaux s'élève à environ 9 000 000 de $ en or ; toutes sont équipées de machines les plus modernes et complètement éclairées à l'électricité. Elles sont toutes sous direction japonaise, et, dit-on, toutes paient de beaux dividendes, certains allant jusqu'à 18 % du capital investi. Sur 19 000 000 de $ de coton importé au Japon, dans une année, les filatures de Kobé et d'Osaka se sont réservé et ont travaillé environ les 79 % ».

            Un « yen » en argent vaut maintenant 50 « cents » environ en or.

            Notez également le télégramme suivant envoyé à la presse publique :

            « San Francisco (Calif.), le 6 juin. —  L'Hon. Robert P. Porter, rédacteur du World, de Cleveland, et ex-inspecteur du Recensement des E.U. de 1890, est revenu hier du Japon, sur le vapeur « Peru ». La visite de M. Porter dans l'Empire du Mikado avait pour but d'enquêter sur les conditions industrielles de ce pays en ce qui concerne les conséquences de la concurrence japonaise sur la prospérité américaine. Après une enquête approfondie des conditions réelles au Japon, il exprime l'opinion que c'est l'un des problèmes les plus importants que les États-Unis seront obligés de résoudre. Le danger est, tout proche, tel que le manifestent l'énorme accroissement de manufactures japonaises dans les cinq dernières années, et les prodigieuses ressources du Japon en main-d’œuvre capable et à bon marché. L'exportation japonaise des seuls textiles a augmenté de 511 000 $ à 23 000 000 de $ dans les dix dernières années, et leurs exportations totales ont passé de 78 000 000 de $ à 300 000 000 de $ dans la même période, déclara M. Porter. L'an dernier, le Japon a acheté pour une valeur de 2 500 000 $ de notre coton brut, mais nous avons acheté au Japon diverses marchandises pour un montant de 54 000 000 de $.

            « Pour illustrer l'accroissement rapide, il fait mention des allumettes que le Japon fabriquait, il y a dix ans, pour une valeur de 60 000 $, surtout pour la consommation intérieure, tandis que l'an dernier, la production totale fut d'une valeur de 4 700 000 $ destinée presque en totalité à l'Inde. Il y a dix ans, des paillassons et des tapis furent exportés pour une valeur de 885 $ ; l'an dernier, les mêmes articles le furent pour une valeur de 7 000 000 de $. Ils sont capables d'arriver à un tel résultat grâce, à la fois, à des machines modernes et à la main-d’œuvre la plus docile du monde. Ils n'ont pas de lois sur les usines et peuvent employer des enfants de n'importe quel âge. Des enfants de sept, huit et neuf ans travaillent une journée entière pour un ou deux « cents » américains par jour .

            « En raison de la demande croissante de notre coton et l'accroissement de leurs exportations de marchandises manufacturées dans notre pays, un syndicat japonais s'est formé pendant que j'étais là-bas, au capital de 5 000 000 de $, en vue de créer et d'exploiter trois nouvelles lignes maritimes entre le Japon et ce pays-ci, les ports américains choisis étant Portland, Oregon, Philadelphie et New York ».

            Le reporter eut une entrevue avec M. S. Asam, de Tokio (Japon), délégué du syndicat maritime susmentionné, qui arriva en même temps que M. Porter, sur le même vapeur, afin de faire des contrats pour la construction desdits vapeurs. Il expliqua que, récemment, le gouvernement japonais avait offert une importante subvention pour des bâtiments de plus de 6 000 tonneaux entre les États-Unis et le Japon, et que leur syndicat s'était formé pour obtenir le même avantage, et que tous les bateaux qu'il construirait seraient plus importants encore — de 9 000 tonneaux environ. — Le syndicat se proposait de faire une très grosse affaire, et à cette fin, il réduirait considérablement les tarifs « fret » et « passager ». On envisage pour un voyage entre le Japon et notre côte du Pacifique un tarif de 9 $ pour les passagers.

LE CONGRÈS DES ÉTATS-UNIS

ENQUÊTE SUR LA CONCURRENCE JAPONAISE

            Il est hors de doute que l'extrait suivant du rapport d'un Comité du Congrès des E.U.  doit être considéré comme digne de foi, et qu'il confirme pleinement ce qui a été dit plus haut :

            « Washington, le 9 juin 1896. — Le Président Dingley, du Comité des Finances de la Chambre des députés a fait aujourd'hui un rapport sur la menace que présente pour les fabricants américains l'invasion annoncée des produits bon marché de la main-d’œuvre orientale, et sur l'effet qu'aura la différence de change entre les pays d'étalon-or et ceux d'étalon-argent, sur les intérêts industriels et agricoles des États-Unis, ces questions ayant été étudiées par le comité.

            « Le rapport dit que le réveil soudain du Japon est suivi d'une occidentalisation également rapide de ses méthodes industrielles, que si les Japonais n'ont pas le génie inventif des Américains, leurs facultés d'imitation sont merveilleuses. Leur standard de vie serait considéré par les travailleurs des États-Unis comme étant pratiquement l'inanition, et leurs heures de travail sont, en moyenne de douze par jour. Des ouvriers habiles comme forgerons, charpentiers, maçons, compositeurs d'imprimerie, tailleurs et plâtriers reçoivent dans les villes japonaises de 26 à 33 « cents » seulement, et des ouvriers d'usine de 5 à 20 « cents » par jour dans notre monnaie — près du double dans la monnaie d'argent japonaise — tandis que les ouvriers agricoles reçoivent 1,44 $ par mois.

            « Le rapport continue : les Européens et les Américains se rendent compte du champ avantageux qui s'offre à, l'investissement et à l'installation d'usines. Soixante et une filatures de coton, dirigées ostensiblement par des compagnies japonaises mais aidées par des Européens, et plusieurs petites soieries fonctionnent, avec un peu plus d'un demi-million de broches. Le Japon fabrique la plupart des marchandises en coton nécessaires aux besoins limités de son propre peuple, et il commence à exporter des tissus et des mouchoirs de soie à bon marché.

            « Récemment, une fabrique de montres a été installée par des Américains avec des machines américaines, bien que le fonds soit aux noms de Japonais ; jusqu'en 1899, en effet, il ne sera pas permis aux étrangers de faire marcher des affaires en leurs propres noms. Le progrès réalisé indique que l'entreprise se prouvera un succès.

            « Il est probable que l'introduction rapide des machines au Japon produira, en quelques années, de belles cotonnades, de belles soieries et d'autres articles, dans lesquels le coût de la main-d’œuvre ici est un élément important dans la production, un concurrent plus grave sur nos marchés que ne l'ont été les productions de la Grande-Bretagne, de la France et de l'Allemagne.

            « D'après M. Dingley, la concurrence différera, non en genre, mais en degré, avec la concurrence européenne. Le comité ne connaît aucun remède, en dehors de l'interdiction absolue appliquée rigoureusement contre les marchandises provenant du travail forcé, sauf l'imposition de droits de douane sur des marchandises de concurrence, égaux à la différence entre le prix de revient et le prix de vente. On avance l'argument suivant pour justifier cette politique : ce faisant, on atteint un double but, la perception de revenus pour soutenir le gouvernement et l'introduction de la concurrence dans nos marchés sur la base de nos salaires plus élevés. On ne fait pas cela, dit-on, pour le bénéfice du fabricant dans ce pays, car le fabricant n'a qu'à aller tout simplement en Angleterre ou au Japon pour se mettre sur la même base où il est placé ici sous le poids des droits de douane frappant les importations de concurrence, droits équivalents à la différence des salaires ici et là ; mais on le fait pour procurer à tout le peuple les bénéfices qui proviennent de l'intérieur plutôt que de la production étrangère ».

            Le gouvernement japonais n'accorde aucune protection aux brevets étrangers. Il achète les machines-outils les plus précieuses du monde civilisé et les fait ensuite reproduire à bon marché par ses artisans peu payés qui, bien que manquant d' « originalité » sont, à l'instar des Chinois, de merveilleux imitateurs. De cette manière ses machines coûteront moins de la moitié de ce qu'elles coûtent ailleurs, et bientôt, le Japon sera prêt à vendre à la chrétienté soit ses propres machines brevetées, soit ses produits manufacturés.

            Sous le titre « Concurrence japonaise », le San Francisco Chronicle écrivait :

             « Une autre paille (ou « indication » — Trad.) qui montre de quel côté souffle le vent de la concurrence japonaise est le transfert d'une grande manufacture de paillassons de Milford (Ct.), à Kobé, l'un des centres industriels du Japon. Ceux qui affectent de faire fi de la concurrence japonaise et de parler d'un ton cavalier de la supériorité de l'intelligence occidentale, négligent entièrement le fait que la mobilité des capitaux est telle qu'on peut aisément les transférer dans les pays où l'on peut trouver de la main-d'œuvre à bon marché, de sorte que tout ce qui est nécessaire c'est, pour les intelligences supérieures de l'Amérique et de l'Europe, d'inventer des machines ; alors les détenteurs de capitaux peuvent les acheter et les transférer dans les pays où l'on peut les faire fonctionner à meilleur marché ».

            l'Hon. Robert P. Porter, don, il a été question plus haut, a écrit, il y a quelque temps, un article dans le North American Rewiew, dans lequel il fait remarquer que, malgré les tarifs douaniers des États-Unis contre les marchandises de fabrication étrangère, les Japonais empiètent rapidement sur les manufactures des États-Unis. Ils peuvent le faire (1) à cause de leur main-d’œuvre à bon marché et patiente, et (2) à cause de l'avantage de un cent pour cent de leur étalon-argent sur l'étalon-or des pays civilisés, qui peut plus que compenser n'importe quel tarif douanier considéré comme possible.

            Nous donnons ci-dessous quelques extraits de l'article en question :

            « Les Japonais ont, métaphoriquement parlant, lancé leurs chapeaux dans le marché américain et mis au défi notre capital et notre travail avec des marchandises qui, du point de vue de l'excellence et du bon marché, semblent pour le moment, braver la concurrence, même en ayant à sa disposition les instruments les plus perfectionnés ».

            Après avoir donné un tableau-statistique des divers articles japonais importés aux États-Unis, il dit :

            « Au cours des quelques derniers mois, j'ai visité les régions du Japon et inspecté les industries qui figurent au tableau ci-dessus. L'accroissement des exportations de textiles, qui a été, en dix ans, quarante fois ce qu'il était autrefois, est dû au fait que le Japon est une nation de tisserands ».

            Il semble que les Japonais soient en train d'envoyer en Amérique de grandes quantités de soieries à bon marché et toutes sortes de marchandises à bon marché, mais ce qu'ils ont fait n'est pour ainsi dire rien à côté de ce qu'ils s'apprêtent à faire :

            « Il semble que les Japonais font tout ce qu'il faut, par le moyen de guildes et d'associations, pour améliorer la qualité et pour augmenter l'uniformité de leurs tissus ». Incidemment, M. Porter fit savoir que les filatures de coton du Lancashire (Angleterre) qui n'ont aucune protection, sont condamnées. Au Japon, dit-il :

            « Le filage du coton, en 1889, n'employait que 5 394 femmes et 2 539 hommes. En 1895, plus de 30 000 femmes et 10 000 hommes étaient employés dans des filatures dont l'équipement et le rendement sont à la hauteur de ceux de n'importe quel pays. La future situation de l'industrie cotonnière, du moins pour approvisionner le commerce asiatique, sera certainement en Chine et au Japon. L'Angleterre est condamnée pour ce qui concerne ce commerce, et rien ne peut la sauver, pas même l'emploi des deux étalons, or et argent, comme certains l'imaginent. Les filatures de coton se développent rapidement, à la fois a Osaka  et à Shanghaï, et seule, une expérience d'un certain nombre d'années, démontrera laquelle de ces deux situations est la meilleure. Mon jugement personnel, d'après un examen attentif de chaque détail dans le coût de la production, est que ce sera le Japon.

            « Si le Japon devait entreprendre la manufacture de tissus de laine peignée, comme il l'a fait pour le coton, ses tisserands pourraient réserver à I'Europe et à l'Amérique quelques surprises et confondre ceux qui prétendent qu'il n'y a rien à craindre de la concurrence japonaise. Un approvisionnement constant de laine à bon marché venant d'Australie rend cela possible, tandis que les échantillons de tissus japonais de laine peignée et d'étoffes pour robes que j'ai examinés là-bas, montrent que, dans cette branche de textiles, les Japonais se trouvent aussi à l'aise que pour la soie et le coton. Ils travaillent également bien le fin lin, bien que jusqu'ici les quantités produites soient petites.

            « L'afflux soudain du parapluie [ou de l'ombrelle, ou des deux — Trad.],  quelque chose comme 2 000 000 exportés en une année, a provoqué de l'inquiétude parmi les fabricants  de parapluies aux États-Unis ».

            Les Japonais eux-mêmes n'hésitent pas à se vanter de leur triomphe prochain  dans la « guerre industrielle ».

            M. Porter déclara :

            « Au Japon, j'eus le plaisir de rencontrer, parmi d'autres hommes d'État  et officiels, M. Kaneko, secrétaire d'État à l'Agriculture  et au Commerce ; je trouvai en lui un homme intelligent et prévoyant, ayant une très grande expérience en matières économiques et statistiques. Il a fait ses études dans l'une des grandes universités européennes, et il est à la hauteur de l'esprit du siècle pour tout ce qui a rapport au Japon et à son avenir industriel et commercial ».

            Plus tard, M. Kaneko fit un discours à une Chambre de Commerce, dans lequel, il déclara :

            « Les filateurs en coton de Manchester [Angleterre] passent pour avoir dit que s'il a fallu aux Anglo-Saxons trois générations avant de devenir des ouvriers habiles et compétents pour le filage du coton, les Japonais ont acquis l'adresse nécessaire dans cette industrie en dix ans de temps, et ils sont arrivés maintenant à un degré tel qu'ils surpassent les ouvriers de Manchester en habileté ».

            D'une dépêche, venant de San Francisco, nous citons ce qui suit :

            « M. Oshima, directeur technique des futures aciéries au Japon et quatre ingénieurs japonais, sont arrivés sur le vapeur « Rio-de-Janeiro », venant d'Yokohama. Ils sont en tournée d'inspection pour visiter les grandes aciéries d'Amérique et d'Europe, et sont chargés d'acheter une usine au prix de 2 000 000 de $. Ils déclarent qu'ils achèteront la où ils trouveront au mieux et le moins cher. L'aciérie doit avoir une capacité de 100 000 « tons » [1 « ton » = 1016 kg en Angleterre et 908 kg aux E.U. — Trad.]. Elle sera construite dans les bassins houillers au sud du Japon, et l'on y fabriquera aussi bien l'acier Martin que l'acier Bessemer.

            « M. Oshima déclara : « Nous voulons placer notre nation au rang qui lui est dû, à l'avant-garde, comme nation industrielle. Nous aurons besoin d'une immense quantité d'acier et nous ne voulons pas dépendre sur ce point de n'importe quel autre pays ».

            Juste après le Japon vient l'Inde, avec sa population de 250 000 000 d'habitants, et ses industries qui se développent rapidement ; ensuite vient la nouvelle République chinoise, avec ses 400 000 000 d'habitants, devenue par sa récente rébellion consciente de la civilisation occidentale qui a permis au Japon avec seulement 40 000 000 d'habitants de la conquérir. Li Hung Chang, le feu Premier ministre de Chine, fit le tour du monde il y a quelques années, à la recherche d'instructeurs américains et européens pour son peuple, et il exprima franchement son intention d'inaugurer des réformes dans chaque ministère. Tel est l'homme qui fit une si grande impression sur le général Grant des États-Unis lors de sa tournée dans le monde, et qu'il déclara, selon son jugement, être l'un des hommes d'État les plus capables du monde.

            Ce rassemblement des extrémités de la terre signifie que les fabricants britanniques, américains, allemands et français vont avoir sous peu comme concurrents des gens qui, récemment encore étaient d'excellents clients ; des concurrents dont les talents supérieurs non seulement les chasseront des marchés étrangers, mais envahiront leurs propres marchés intérieurs ; des concurrents qui, de cette manière, enlèveront le travail des mains de leurs ouvriers, et les priveront des objets de luxe, et même prendront le pain de leur bouche à cause de la concurrence des salaires. Il n'est donc pas surprenant que l'Empereur allemand ait dépeint  les nations d'Europe comme effrayées par un spectre s'élevant de l'Orient et menaçant de destruction la civilisation.

            Pourtant, on ne peut arrêter ce processus. Il fait partie de l'inévitable, opérant sous la loi de l'Offre et de la Demande qui dit : achetez ce que vous pouvez obtenir de mieux au plus bas prix possible — la main-d’œuvre aussi bien que la marchandise. La seule chose qui peut et qui le fera couper court et arrêter la pression commencée maintenant et qui doit devenir plus intense aussi longtemps que continuera la loi d’égoïsme, c'est le remède que Dieu a préparé, le Royaume de Dieu avec sa nouvelle loi et sa complète réorganisation de la société sur la base de l'amour et de l'équité.

            Si les peuples de l'Europe et de l'Amérique ont eu pour client le monde entier, non seulement pour les produits manufacturés, mais également pour les machines, et que néanmoins, ils sont parvenus à un point où la production est supérieure à la demande, et où des millions de leurs habitants cherchent en vain un emploi, même avec de bas salaires, que peuvent-ils espérer pour le proche avenir, lorsque le nombre des concurrents aura plus que doublé ? La croissance naturelle de la population viendra également ajouter au dilemme. Cette perspective ne serait pas aussi défavorable et si désespérément sombre, s'il n'y avait pas le fait que ces presque sept cent millions de nouveaux concurrents sont les gens les plus dociles, les plus patients et les plus économes qu'on puisse trouver dans le monde Si les travailleurs européens et américains peuvent être dominés par le Capital, à plus forte raison peuvent l'être ceux qui n'ont jamais connu autre chose que l'obéissance obéissance à des maîtres.

LA SITUATION DES TRAVAILLEURS EN ANGLETERRE

            M. Justin Mc Carthy, écrivain anglais bien connu, a déclaré un jour dans un article paru dans le journal Cosmopolis :

            « Les maux engendrés par le paupérisme et le manque d'emploi devraient inspirer plus de terreur au cœur de l'Angleterre que n'importe quelle menace d'une invasion étrangère. Mais les hommes d'État anglais n'ont jamais pris cette erreur au sérieux, et ne s’en sont guère préoccupé. On a même laissé libre cours aux difficultés provoquées par des disputes entre patrons et ouvriers, d'un côté la grève et de l'autre le lock-out, sans essayer réellement d'y remédier par voie législative. La raison en est que l'on permet à, n'importe quel sujet d'accaparer notre attention plutôt que celui de la condition de notre propre peuple ».

            On rapporte que Keir Hardie (membre du Parlement et Chef travailliste) aurait dit, au cours d'une interview :

            « Le trade-unionisme est dans une mauvaise condition en Angleterre. Je crains parfois qu'il ne soit pratiquement mort. Nous, travailleurs, sommes en train d'apprendre que le capital sait se servir de son argent pour s'organiser, et que de cette manière il arrive à nous battre. Les industriels ont appris un moyen de l'emporter sur leurs ouvriers et ces derniers sont pratiquement sans défense. Voici longtemps que les trade-unions n'ont gagné aucune grève importante à Londres. Nombre des unions ouvrières autrefois puissantes, sont actuellement sans force. Cela est particulièrement vrai des dockers. Vous souvenez-vous de la grande grève des docks ? Eh bien, elle a tué leur union sans venir en aide en quoi que ce soit aux hommes. La situation des trade-unions à Londres est affligeante.

            « The Independent Labour Party [parti politique travailliste — Trad.] est socialiste. Nous serons satisfaits seulement lorsque le socialisme aura triomphé par l'établissement du socialisme municipal, national, industriel. Nous savons ce que nous voulons et nous le voulons tous. Nous ne désirons pas combattre pour l'obtenir, mais si nous ne pouvons l'obtenir sans combattre, nous combattrons, et cela avec la dernière énergie. Le but avoué du Parti travailliste indépendant est de fonder une république ou communauté industrielle qui aurait à sa base la socialisation (ou nationalisation — Trad.) des terres et du capital industriel. Nous croyons que les divisions politiques naturelles doivent avoir lieu sur le plan économique.

            « Des maux du système actuel, je dois dire que la plus grande oppression individuelle qui pèse sur les travailleurs britanniques, est causée par l'irrégularité et l'incertitude de l'emploi. Vous savez peut-être que je me suis fait une spécialité de cette question, et que je parle de faits lorsque le dis que, dans les Iles britanniques, il y a plus de 1 000 000 de travailleurs adultes valides qui ne sont ni des ivrognes, ni des paresseux, ni d'intelligence au-dessous de la moyenne, mais qui sont encore sans emploi sans qu'il y ait faute de leur part, et totalement incapables d'obtenir du travail. Les salaires paraissent être plus élevés qu'ils ne l'étaient il y a un demi-siècle, mais si on prend en considération la perte de temps due au manque d'emplois on se rend compte que la condition du travailleur a réellement rétrogradé. Un salaire, petit mais sûr, produit un confort plus grand qu'une somme plus élevée gagnée d'une manière irrégulière. Si le droit de gagner un salaire suffisant pour vivre était assuré à chaque travailleur, la plupart des questions qui nous affligent seraient résolues d'une manière naturelle. Il est certain que la situation est triste. Au cours du temps terriblement froid qu'il a fait récemment, des chantiers de secours furent ouverts où des hommes purent avoir quatre heures de travail de balayage des rues à raison de 6 « pence » de l'heure [6 « pence » = 1/2 shilling, soit la 1/40e partie d'une « livre sterling » anglaise — Trad.]. Des milliers se rassemblèrent en dehors des portes du chantier dès 4 heures du matin afin de se trouver parmi les premiers. Ils se tinrent là debout, frissonnant et tremblant de froid, à demi-affamés et remplis de désespoir, jusqu'à 8 heures du matin à l'ouverture des portes. La ruée qui s'ensuivit fût presque une émeute. Des hommes furent piétinés à mort dans cette horrible bousculade pour avoir l'occasion de gagner deux shillings (48 « cents »). Les lieux furent saccagés. Une masse compacte d'hommes affamés, poussés par derrière par d'autres milliers, crevèrent les murs et les portes dans leur désir ardent de trouver du travail. Ces hommes n'étaient pas des paresseux.

            « Le salaire horaire moyen des manœuvres à Londres, même quand il se maintient au taux des trade-unions, n'est que de 6 « pence ». En province, il est moindre. Une étude sérieuse a montré qu'il faut au moins 3 « guineas » [1 « guinea » = 21 shillings, soit 1 livre sterling + 1 shilling — Trad.] par semaine à une famille moyenne (deux adultes et trois enfants) pour vivre convenablement sans luxe. Très peu d'ouvriers en Angleterre reçoivent cette somme ou à peu près. L'ouvrier qualifié est privilégié s'il gagne 2 guineas par semaine toute l'année, et un travailleur a de la chance s'il réussit à gagner 24 shillings (5,84 dollars — à l'époque — Trad.) par semaine, salaire sur lequel il doit prélever le tiers pour le loyer. Ainsi, dans les classes de travailleurs les mieux rétribuées, la famille ne peut que côtoyer la pauvreté. Une très courte période de chômage, d'oisiveté forcée, suffit invariablement à la jeter dans une situation très pénible. Voilà pourquoi nous avons tant d'indigents.

            « Londres compte maintenant [à l'époque — Trad.] 4 300 000 habitants. Soixante mille familles (300 000 personnes) ont en moyenne par semaine un revenu par famille de moins de 18 shillings, et vivent dans une condition de gêne chronique. Une personne sur huit meurt dans un hospice ou dans un hôpital. Une personne sur seize de la population actuelle de Londres est considérée présentement comme indigente. Chaque jour, 43 000 enfants arrivent à l'école primaire sans avoir déjeuné. Trente mille personnes n'ont d'autres foyers que des réduits à 4 « pence » par nuit ou autres logements de fortune ».

            Les statistiques précitées montrent que quelques années suffiront amplement pour permettre à cette concurrence de se développer. Ainsi, le Tout-Puissant amène-t-Il les masse de toutes les nations à se rendre graduellement compte du fait que, tôt ou tard, les intérêts de l'un doivent être les intérêts de l'autre, et que chacun doit être le gardien de son frère s'il veut préserver son propre bien-être.

            Il n'est pas non plus sage ni juste d'accuser le Capital de faire la chose même que fait le Travail et qu'il a toujours fait, cherchant son avantage personnel. En vérité, nous pouvons tous voir que les aspirations de certains pauvres sont également aussi égoïstes que celles de certains riches ; nous pouvons même imaginer que si certains de ceux qui sont actuellement pauvres obtenaient la position de riches, ils deviendraient plus durement exigeants et moins généreux que leurs maîtres actuels. Ne haïssons donc pas et n'accusons donc pas les riches mais plutôt haïssons et stigmatisation l'égoïsme général et individuel qui est responsable des conditions et des maux actuels. Et tout en abhorrant complètement l'égoïsme, que chacun prenne la résolution, par la grâce du Seigneur, de mettre à mort (de tuer) journellement l'égoïsme qui lui est propre, et que de plus en plus il cultive l'amour qui s'oppose à I’égoïsme, qu'ainsi il se conforme à l'image du Fils bien-aimé de Dieu, notre Sauveur et Seigneur.

LES PAROLES PROPHÉTIQUES DE L'HON. JOSEPH CHAMBERLAIN

A DES OUVRIERS BRITANNIQUES

            Remarquez l'opinion de Joseph Chamberlain, qui fut autrefois le secrétaire de la Grande-Bretagne aux Colonies, et l'un des chefs d'État les plus subtils de notre époque. Recevant une délégation d'ouvriers cordonniers en chômage venus pour soutenir l'idée de fabriques municipales, il leur montra clairement que ce qu'ils désiraient ne les aiderait pas réellement, sauf pour un temps seulement ; que de telles fabriques amèneraient simplement une surproduction et provoqueraient la fermeture d'autres fabriques, enlevant ainsi le gagne-pain à d'autres ouvriers qui travaillaient jusqu'alors. La vraie politique, leur montra-t-il, serait de développer le commerce avec le monde extérieur, et ainsi de trouver des clients qui achèteraient plus de chaussures, ce qui leur fournirait rapidement un débouché. Il déclara :

            « Ce que vous avez besoin de faire, ce n'est pas de changer d'atelier où l'on fabrique les chaussures, mais d'augmenter les demandes de chaussures. Si vous pouvez recevoir de nouvelles demandes de chaussures, non seulement ceux qui ont du travail maintenant, mais ceux qui n'en ont pas, pourront en trouver. Tel devrait être notre grand objectif. En plus du problème spécial que vous m'exposez, vous devez vous souvenir que, sur un plan plus général, le grand remède à cette difficulté de manque d'emploi est de trouver de nouveaux marchés. Nous sommes évincés des anciens marchés (des marchés des pays neutres, autrefois alimentés par la Grande-Bretagne) par la concurrence étrangère. Dans le même moment, des gouvernements étrangers n'acceptent plus nos produits sur leurs propres marchés ; à moins de pouvoir augmenter les marchés que nous possédons déjà, ou d'en trouver de nouveaux, cette question de manque d'emploi qui est déjà grave, le deviendra au maximum, et j'ai les raisons les plus sérieuses pour être dans l’anxiété quant aux complications qui pourraient s'ensuivre. Je vous expose le problème dans ces termes généraux, mais lorsque vous entendez des critiques faites contre la politique de ce gouvernement ou de celui-là, de tel ou tel chef, à propos de l'expansion coloniale de l'Empire britannique, je vous supplie d'avoir à l'esprit qu'il ne s'agit pas là d'une question de Jingo (*) [« personne qui soutient une politique étrangère agressive pouvant conduire à la guerre avec d’autres nations » (dic.).] comme vous êtes parfois amenés à le croire, ce n'est pas une question d'agression déraisonnable, mais c'est en réalité la question de poursuivre la ligne de conduite que le peuple anglais a toujours observée : étendre ses marchés et ses relations avec les lieux peu cultivés de la terre ; si nous ne le faisons, et ne le faisons continuellement, je suis certain que, les choses étant sérieuses comme elles le sont maintenant, nous aurons dans un temps très proche à affronter des conséquences beaucoup plus sérieuses encore ».

RAPPORT ENTRE L'AGRESSION NATIONALE

ET LES INTÉRÊTS INDUSTRIELS

            Nous avons ici le secret de l'agression britannique et de l'expansion de son empire. L'Angleterre n'est pas poussée simplement par le désir de donner à d'autres nations de plus sages administrateurs et de meilleurs gouvernements, ni simplement parce qu'elle désire étendre son territoire et sa puissance : elle agit ainsi parce que cette politique fait partie de la guerre commerciale la « guerre industrielle ». Les nations sont conquises, non pour les piller comme on le faisait autrefois, mais pour les servir — pour s'assurer leur commerce. Dans cette guerre, la Grande-Bretagne a eu un extraordinaire succès ; c'est pourquoi ses richesses sont considérables et ses capitaux placés un peu partout. Étant la première nation à avoir une surproduction, elle chercha la première à avoir des marchés étrangers, et pendant longtemps elle fut la filature de coton et l'aciérie du monde extérieur à l'Europe. L'éveil du machinisme qui suivit la guerre civile des États-Unis, en 1865, fit pour un temps de ce pays le centre de l'attention du monde et des affaires. L'éveil de toutes les nations civilisées au machinisme fit tourner leur attention vers la recherche de débouchés extérieurs. C'est à cette concurrence étrangère que faisait allusion M. Chamberlain.  Tous les hommes d'État saisissent bien ce qu'il signaIe, savoir que les marchés du monde sont rapidement en train d'être approvisionnés, et que le machinisme et la civilisation hâtent rapidement le moment où il n'y aura plus de marchés extérieurs. Aussi, comme il l'a sagement déclaré « les choses étant sérieuses comme elles le sont maintenant, nous aurons dans un temps très proche à affronter des conséquences beaucoup plus sérieuses encore ».

            En 1896, M. Chamberlain reçut, à Londres, en qualité de secrétaire aux Colonies de l'Empire britannique, des délégués des colonies britanniques, qui avaient parcouru des milliers de « miles » pour conférer avec lui et entre eux concernant les meilleurs moyens d'affronter la concurrence industrielle. Depuis que la Grande-Bretagne a trouvé que ses ateliers produisaient plus d'articles manufacturés que n'en pouvait consommer sa population, et qu'elle doit chercher des marchés à l'extérieur, elle est devenue le défenseur du Libre-échange, et bien entendu, elle a maintenu ses colonies aussi étroitement qu'il était possible de le faire dans sa politique de libre-échange, sans recourir à la force. Le but de cette conférence était de prendre des dispositions par lesquelles la Grande-Bretagne et ses nombreuses colonies pourraient dresser une barrière douanière autour d'elles afin de supprimer en partie la concurrence des États-Unis, de l'Allemagne, de la France et du Japon.

            Les conquêtes de la France, de l'Italie et de la Grande-Bretagne en Afrique ont la même signification ; elles ressentent en effet cruellement la guerre commerciale, la voient s'amplifier et voudraient, de toute nécessité, avoir sous leur domination quelques marchés. La dépêche de presse suivante est parfaitement claire sur ce sujet :

            « Washington, le 9 juin 1896. — Prenant comme point de départ l'annonce officielle de l'annexion par la France de Tombouctou, le principal centre du pays de Djallon, région plus grande que l'État de Pennsylvanie et tout aussi fertile, Strickland, consul des États-Unis à Gorée-Dakar, a adressé un rapport des plus intéressants au Département d'État touchant les dangers qui menacent le commerce des États-Unis avec l'Afrique, en raison de l'extension rapide des possessions coloniales des nations européennes. Il montre comment les Français, en imposant une taxe arbitraire de 7 % sur les marchandises étrangères, ont monopolisé les marchés des colonies françaises, et ont ainsi écrasé le commerce lucratif et croissant dont les États-Unis jouissaient déjà dans cette partie du monde. Il déclare qu'on a déjà commencé à fortifier le continent — peut-être tout entier — contre nous par des tarifs douaniers de protection ; car si une nation peut, même maintenant, agir ainsi avec efficacité, toutes les autres, en temps voulu, feront en sorte de normaliser les choses entre elles ».

            En vérité, les hommes rendent l'âme de peur et à cause de l'attente des choses qui viennent sur la terre habitée [la société], et ils se préparent le mieux qu'ils peuvent à ce qu'ils voient venir.

            Mais que personne ne suppose un instant que l'  « expansion de l’Empire britannique » en question, et celles des autres empires de la terre, ainsi que la guerre commerciale générale, sont entreprises uniquement dans le but de fournir du travail aux ouvriers britanniques, italiens et français. Pas du tout ! L'ouvrier n'est qu'un accessoire. Il s'agit surtout de permettre aux capitalistes britanniques de trouver de nouveaux débouchés où ils pourront récolter les bénéfices et « amasser un trésor dans les derniers jours » — Jacques 5 : 3.

LA GUERRE SOCIALE ET INDUSTRIELLE EN ALLEMAGNE

            Herr Liebknecht, chef du parti social démocrate au Reichstag allemand, visita la Grande-Bretagne en juillet 1896 ; il fut interviewé et ses paroles relevées dans les colonnes du Daily Chronicle, de Londres, duquel nous extrayons ce qui suit :

            « Notre parti social-démocrate est le parti le plus fort au Parlement allemand. Aux dernières élections, nous avons recueilli 1 880 000 voix. Nous nous attendons à une dissolution prochaine sur la question des dépenses que le Reichstag refusera de voter pour la flotte de guerre. A cette élection, nous comptons recueillir un autre million de voix ».

            « — Alors le jingoïsme n'est pas très fort en Allemagne ? »

            « — Le jingoïsme n'existe pas en Allemagne. De tous les peuples d'Europe, les Allemands sont les plus dégoûtés du militarisme. Nous, socialistes, sommes à la tête du mouvement antimilitariste ».

            « — Et pensez-vous que ce mouvement antimilitariste s'étend à travers l'Europe ? »

            « — J'en suis certain. Dans leurs Parlements respectifs, les députés socialistes (et nous en avons un bon nombre) français, allemands, belges, italiens et danois combattent le, militarisme à mort. Lorsque le Congrès international se réunira cette année à Londres, tous les députés socialistes présents tiendront une réunion en vue de décider une action commune. En ce qui concerne l'Allemagne, elle est totalement ruinée par son système militaire. Nous sommes un pays nouveau. Nos industriels sont tous jeunes, et si nous avons à rivaliser avec l'Angleterre... »

            « — Alors, vous aussi, vous réclamez à grands cris à cause de la concurrence étrangère ? »

            « — Bien entendu ! Pour nous, c'est une question vitale. Comme je vais vous le montrer, nous n'avons aucune liberté de la presse et aucune liberté de réunion publique. Vous autres, au contraire, avez les deux et c'est ce qui m'explique que le système économique actuel est plus profondément et fermement enraciné en Angleterre que partout ailleurs ; par-dessus tout, nous devons lutter contre la doctrine du droit divin des rois tandis que vous, Anglais, avez découvert il y a deux cents ans, que le droit divin des rois et la liberté politique du peuple ne pouvaient coexister ».

            «  Alors, vous vous attendez à de grands changements sous peu ? »

            « — Oui. Le système actuel en Allemagne engendre un tel mécontentement que ces changements doivent arriver ».

            « — Et maintenant, pouvez-vous me dire quelque chose au sujet de la position économique de l'Allemagne ? Vous avez là-bas, comme nous l'avons ici, un problème agraire ».

            « — Nous avons en Allemagne cinq millions de propriétaires paysans, et tous vont à la ruine aussi vite qu'ils le peuvent. Chacun d’eux — et je pèse mes mots — est hypothéqué pour la valeur entière, et même davantage, de ses propriétés. Nos paysans vivent de pain fait avec un mélange de seigle et d'avoine. En fait, la nourriture de toutes espèces est meilleur marché en Angleterre qu'en Allemagne ».

            « — Et vos industries ? »

            « — Comme pays industriel, nous n'en sommes qu'à a nos débuts. Notre système industriel actuel date seulement de 1850, mais déjà ses résultats deviennent supérieurs à ceux de votre pays. Nous nous divisons rapidement en deux classes : les prolétaires, et les capitalistes et les propriétaires fonciers. Nos classes moyennes sont littéralement balayées par les conditions économiques qui prévalent. Elles sont rejetées dans les classes qui travaillent, et c'est à cela plus qu'à n'importe quelle autre chose que j'attribue le succès extraordinaire de notre parti.

            « Vous devez vous souvenir que nous n'avons pas deux partis nettement déterminés comme vous en avez en Angleterre. Nous autres, socio-démocrates, nous travaillons avec n'importe quel parti pourvu que nous puissions obtenir quelque chose pour nous. Nous avons seulement trois grands partis, les autres peuvent être ignorés. Il y a notre parti, le parti conservateur et le parti du Centre catholique. Nos conservateurs sont très différents des vôtres. Ils veulent retourner au régime de la féodalité et de la pire réaction. Les conditions économiques sont en train de créer une scission dans le parti du Centre, dont une partie se joindra à nous et le reste aux conservateurs. Et alors, nous verrons ce qui arrivera ».

            « Herr Liebknecht fit l'historique du mouvement socialiste. La rapidité avec laquelle s'est développée la démocratie sociale en Allemagne a été provoquée par la nouveauté du commercialisme industriel dans ce pays, et par la dure concurrence que l'Allemagne a dû affronter pour pouvoir suivre l'Angleterre et la France dans la lutte pour la suprématie commerciale ».

            On remarquera que les questions reconnues par cet homme capable comme étant celles qui pèsent sur le peuple et provoquent sa détresse et sa division en deux classes — les pauvres et les riches — sont ainsi clairement énoncées comment étant : (1) la question agraire ou foncière, affectant en particulier les agriculteurs ; (2) la question économique, ou question monétaire, y compris les rapports entre le Capital et le Travail ; (3) la question industrielle, ou la question de trouver un emploi lucratif des machines — associée à la concurrence étrangère et à la concurrence intérieure, l'offre et la demande, etc. Ce sont là les mêmes questions qui embarrassent chaque nation civilisée, et préparent la voie au « trouble » mondial qui approche — révolution, anarchie — en vue du Royaume millénaire.

            Herr Liebknecht assista, comme délégué au Congrès des trade-unions à Londres, en juillet 1896. A ce Congrès, on adopta la résolution suivante :

            « Le présent congrès international des travailleurs reconnaît que la paix entre les nations du monde est une base essentielle de la fraternité internationale et du progrès humain ; il est convaincu que les peuples de la terre ne désirent pas de guerres, mais que celles-ci sont causées par la rapacité et l'égoïsme des classes dirigeantes et privilégiées dans le seul but de mettre la main sur les marchés du monde dans leurs propres intérêts et contre tous les vrais intérêts des travailleurs. Le congrès déclare qu'il n'existe absolument aucun différend entre les travailleurs des différentes nationalités, que leurs seuls ennemis communs sont les capitalistes et les propriétaires fonciers, que le seul moyen d'empêcher les guerres et d'assurer la paix est d'abolir le système du capitalisme et de la propriété foncière de la société dans lequel les guerres ont leur racine en conséquence, le congrès s'engage à travailler au seul moyen par lequel ce système peut être renversé — la socialisation des moyens de production, de distribution et d'échange — ; il déclare en outre que jusqu'à ce que cela soit réalisé, chaque différend entre des nations devrait être réglé par l'arbitrage au lieu de l'être par la brutalité de la force des armes ; ce congrès reconnaît aussi que l'établissement d'une journée internationale de huit heures pour tous les travailleurs est l'étape la plus immédiate vers leur émancipation finale, et plaide avec insistance auprès des gouvernements de tous les pays la nécessité d'avoir, par voie légale, une journée de huit heures de travail ; de plus, le congrès considère que la classe ouvrière ne peut obtenir son émancipation économique et sociale qu'en retirant les rouages politiques actuels des mains de la classe capitaliste ; considérant que, dans tous les pays, un grand nombre de travailleurs et de travailleuses ne possèdent pas le droit de vote et ne peuvent prendre part à l'action politique, ce congrès de travailleurs s'engage à faire tous les efforts nécessaires pour obtenir le suffrage universel ».

AUTRES ENNEMIS DE L’HUMANITÉ

LES GÉANTS DE NOTRE ÉPOQUE

            Un autre conséquence de la concurrence a été l'organisation de puissantes corporations dans le commerce et l'industrie. Ce sont d'importants éléments en préparation pour le « feu » à venir. Devant ces corporations géantes, les petits commerçants et industriels sont rapidement réduits à l'impuissance, parce qu'ils ne peuvent ni acheter ni vendre dans les conditions aussi favorables que le peuvent les grandes maisons commerciales et industrielles. A leur tour, ces dernières, voyant s'ouvrir le champ d'une plus grande activité, s'associent entre elles pour former des « trusts ». Ces trusts qui, à l'origine, avaient été organisés pour empêcher la concurrence de les détruire tous, sauf les plus forts, travaillent à la grande satisfaction des capitalistes et des administrations qu'ils représentent. Ce mode d'exploitation commerciale et industrielle se répand partout, la Grande République dirigeant le monde dans cette direction. Remarquez la liste suivante publiée dans le numéro du 2 septembre 1896 du journal World de New York, sous le titre « Le développement des trusts ».

« LISTE DE 139 ASSOCIATIONS POUR RÉGLER LA PRODUCTION, 

FIXER LES PRIX, MONOPOLISER LE COMMERCE 

ET VOLER LE PEUPLE AU MÉPRIS DE LA LOI »

Raison sociale

Capital

$

Dressed Beef and Provision Trust [bœuf préparé] 100 000 000
Sugar Trust, New York [sucre] 075 000 000
Lead Trust [plomb] 030 000 000
Rubber Trust, New Jersey [caoutchouc] 050 000 000
Gossamer Rubber Trust [imperméables] 012 000 000
Anthracite Coal Combine, Pennsylvania [anthracite] (*) [Estimation] 085 000 000
Axe Trust [haches]  015 000 000
Barbed Wire Trust, Chicago [fil barbelé] (*) 010 000 000
Biscuit and Cracker Trust [biscuits] 012 000 000
Bolt and Nut Trust [boulons et écrous] (*) 010 000 000
Boiler Trust, Pittsburg, Pa. 1 chaudières] (*)  015 000 000
Borax Trust, Pennsylvania [borax] (*) 002 000 000
Broorn Trust Chicago [balais] (*) 002 500 000
Brush Trust. Ohio [brosses] (*) 002 000 000
Button Trust [boutons] (*)  003 000 000
Carbon Candle Trust, Cleveland [bougies] (*) 003 000 000
Cartridge Trust [papier cartouche] (*) 010 000 000
Casket and Burial Goods Trust [pompes funèbres] (*) 001 000 000
Castor Oil Trust, St. Louis [huile de ricin] 000 500 000
Celluloid Trust [celluloïd] 008 000 000
Cigarette Trust, New York [cigarettes]   025 000 000
Condensed Milk Trust, Illinois [lait condensé] 015 000 000
Copper Ingot Trust [lingots de cuivre] (*) 020 000 000
Sheet Copper Trust [cuivre en feuilles] (*) 040 000 000
Cordage Trust, New Jersey [cordages] 035 000 000
Crockery Trust [poteries] (*) 015 000 000
Cotton Duck Trust [toile à voiles]  010 000 000
Cotton-Seed Oil Trust [huile de coton] 020 000 000
Cotton Thread Combine, New Jersey [fil de coton] 007 000 000
Electric Supply Trust [fournitures électriques] (*) 010 000 000
Flint Glass Trust, Pennsylvania [flint-glass]  008 000 000
Fruit Jar Trust [bocaux à fruits] (*) 001 000 000
Galvanized Iron Steel Trust, Pennsylvania [acier galvanisé] (*)  002 000 000
Glove Trust, New York [gants] (*) 002 000 000
Harvester Trust [moissonneuses] (*) 001 500 000
Hinge Trust [charnières] 001 000 000
Indurated Fibre Trust [fibre durcie]  000 500 000
Leather Board Trust [cuir] (*) 000 500 000
Lime Trust [chaux] (*)  003 000 000
Linseed Oil Trust [huile de lin]  018 000 000
Lithograph Trust, New Jersey [lithographie] 011 500 000
Locomotive Tire Trust [bande de roue de  locomotive] (*) 002 000 000
Marble Combine [marbre] (*)  020 000 000
Match Trust, Chicago [allumettes]  008 000 000
Morocco Leather Trust [cuir marocain] (*) 002 000 000
Oatmeal Trust, Ohio [farine d'avoine] (*) 003 500 000
Oilcloth Trust [toile cirée] (*)  003 500 000
Paper Bag Trust [sacs de papier] 002 500 000
Pitch Trust [bitume] (*) 010 000 000
Plate Glass Trust, Pittsburg, Pa. [glaces] (*)  008 000 000
Pocker Cutlery Trust [coutellerie de poche] (*) 002 000 000
Powder Trust [poudre] 001 500 000
Preservers' Trust, West Virginia [fabriques de conserves] (*)  008 000 000
Pulp Trust [pâte à papier] (*) 005 000 000
Rice Trust, Chicago [riz] 002 500 000
Safe Trust [coffres-forts] 002 500 000
Salt Trust [sel] (*) 001 000 000
Sandstone Trust, New York [grès] (*) 001 000 000
Sanitary Ware Trust, Trenton, N.J. [articles sanitaires]  003 000 000
Sandpaper Trust [papier de verre] (*)  000 250 000
Sash, Door and Blind Trust [fenêtres, portes et persiennes] (*) 001 500 000
Saw Trust, Pennsylvania [scies] 005 000 000
School Book Trust, New York [livres scolaires] (*) 002 000 000
School Furniture Trust, Chicago [mobilier scolaire] 015 000 000
Sewer Pipe Trust [tuyaux d'égout]  002 000 000
Skewer Trust [brochettes] 000 060 000
Smelters' Trust, Chicago [fonderie]  025 000 000
Smith Trust, Michigan (*)  000 500 000
Soap Trust [savon] (*) 000 500 000
Soda-Water Apparatus Trust, Trenton, N.J. [appareils à soda]  003 750 000
Spool, Bobbin and Shuttle Trust [bobines, fuseaux et navettes] 002 500 000
Sponde Trust [éponges] (*) 000 500 000
Starch Trust, Kentucky [amidon]  010 000 000
Merchants' Steel Trust [acier] 025 000 000
Steel Rail Trust [rails] (*) 060 000 000
Stove Board Trust, Grand Rapids, Mich. [fourneaux] 000 200 000
Straw Board Trust, Cleveland, O. [paille] (*) 008 000 000
Structural Steel Trust [poutrelles d'acier pour construction] (*) 005 000 000
Teazle Trust [chardons à foulon] (*) 000 200 000
Sheet Steel Trust [plaques d'acier] (*)  002 000 000
Tombstone Trust [pierres tombales]  000 100 000
Trunk Trust [malles] 002 500 000
Tube Trust, New Jersey [tuyaux] 011 500 000
Type Trust [caractères d'imprimerie] 006 000 000
Umbrella Trust [parapluies, ombrelles] (*) 008 000 000
Vapor Stove Trust [calorifères à vapeur] (*)  001 000 000
Wall Paper Trust, New York [papiers peints]   020 000 000
Watch Trust [montres] 030 000 000
Wheel Trust [roues] (*)  001 000 000
Whip Trust [fouets] (*) 000 500 000
Window Glass Trust [verre à vitre] (*) 020 000 000
Wire Trust [fil de fer] (*) 010 000 000
Wood Screw Trust [vis à bois] (*) 010 000 000
Wool Hat Trust, New Jersey [chapeaux de laine] (*) 001 500 000
Wrapping Paper Trust [papier d'emballage] (*) 001 000 000
Yellow Pine Trust [bois de charpente] (*) 002 000 000
Patent Leather Trust [cuir verni] 005 000 000
Dye and Chemical Combine [teinture et  produits chimiques] (*) 002 000 000
Lumber Trust [bois de charpente] (*) 002 000 000
Rock Salt Combination [sel gemme]  005 000 000
Naval Stores Combine [fournitures pour  bateaux] (*) 001 000 000
Green Glass Trust [verre à bouteilles]  004 000 000
Locomotive Trust [locomotives] (*) 005 000 000
Enveloppe Combine [enveloppes]   005 000 000
Ribbon Trust [rubans] (*) 018 000 000
Iron and Coal Trust [fer et charbon]   010 000 000
Cotton Press Trust [presses à emballer le coton] (*) 006 000 000
Tack Trust [broquettes] (*) 000 300 000
Clothes-Wringer Trust [essoreuses] (*) 002 000 000
Snow Shovel Trust [pelles à neige] (*) 000 200 000
The Iron League (Trust) [fer] (*) 060 000 000
Paper Box Trust [boîtes en papier] (*)  005 000 000
Bitumious Coal Trust [bitume] (*)  015 000 000
Alcohol Trust [alcool] (*) 005 000 000
Confectioners' Trust [confiserie] (*) 002 000 000
Gas Trust [gaz] (*) 007 000 000
Acid Trust [acide] (*) 002 000 000
Manilla Tissue Trust [tissu de Manille] (*) 002 000 000
Carnegie Trust [Carnegie]   025 000 000
Illinois Steel Trust [acier] (*) 050 000 000
Brass Trust [cuivre]  010 000 000
Hop Combine [houblon] (*) 000 500 000
Flour Trust, New York [farine]  007 500 000
American Corn Harvesters' Trust [moissonneuses] (*) 050 000 000
Pork Combine, Missouri [porc] (*) 020 000 000
Colorado Coal Combine [charbon]  020 000 000
Bleachery Combine [blanchisserie] (*)  010 000 000
Paint Combine, New York [peinture] (*)  002 000 000
Buckwheat Trust, New Jersey [sarrasin] 005 000 000
Fur Combine, New Jersey [fourrure] 010 000 000
Tissue Paper Trust [papier de soie] (*) 010 000 000
Cash Register Trust [caisses enregistreuses] (*) 010 000 000
Western Flour Trust [farine]   010 000 000
Steel and Iron Combine [acier et fer] 004 000 000
Electrical Combine N°. 2 [électricité] 001 800 000
Rubber Trust N°. 2 [caoutchouc] 007 000 000
Tobacco Combination [tabac]   002 500 000

Total des capitaux

1 507 060 000

            Le même numéro du même journal note la puissance et la tendance de l'un de ces trusts dans l'éditorial suivant sous le titre « Que signifie la hausse du charbon » :

            « L'augmentation de 1,50 $ au prix de chaque « ton » d'anthracite signifie que les onze membres du Trust de la houille n'empocheront pas moins de cinquante et peut-être plus de soixante millions de dollars. En se basant sur la concurrence de l'automne dernier et des prix avantageux qui en ont résulté, cet argent appartient légitimement à ceux qui utilisent la houille.

            « L'énorme augmentation du prix de la houille signifie que nombre d'industriels qui allaient repartir cet automne ne peuvent le faire parce qu'ils ne peuvent procéder à une telle augmentation au prix de leur produit et rivaliser encore avec ceux qui obtiennent leur charbon à des prix normaux. Cela signifie que nombre d'industriels vont devoir diminuer les salaires pour compenser cette augmentation dans le prix de la production. Cela signifie que chaque chef de famille ayant de modestes revenus devra se priver de quelque simple objet de luxe ou de douceurs. Il faut qu'il achète du charbon, et comme les autorités qu'il a aidé à élire n'appliqueront pas la loi, il doit payer les prix fixés par les trusts. Cela signifie, en fin de compte, que les pauvres devront acheter moins de charbon. Les anciens prix étaient déjà suffisamment élevés. Les nouveaux prix sont nettement prohibitifs. Aussi, les pauvres devront-ils grelotter l'hiver prochain.

            « D'un côté, on trouve plus de luxe pour quelques-uns. De l'autre côté, c'est le manque de bien-être, et dans des milliers de cas, une misère certaine pour la plupart. Entre les deux côtés se trouve la loi violée et déshonorée ».

            Prenez un autre exemple de la puissance des trusts au printemps de 1895 fut formé le Trust des liens à coton (ce lien à coton est un ruban plat en fer qui sert à mettre le coton en balles). A ce moment-là, ces liens valaient soixante-dix « cents » le cent. L'année suivante, le trust décida de prélever un petit bénéfice supplémentaire et fixa le prix à 1,40 $, le cent, presque au moment même de la mise en balles du coton alors qu'il était impossible d'importer à temps des liens de l’étranger.

            Tous les trusts n'ont pas abusé d'une manière semblable de leur puissance ; il est possible que des occasions favorables ne se soient pas présentées à tous, mais personne ne contestera que le « commun peuple », les masses populaires, courent un grave danger de préjudice des mains de telles corporations géantes. Chacun sait ce que l'on peut craindre de la puissance et de l'égoïsme d'un individu, et ces trusts « géants » non seulement ont immensément plus de puissance et d'influence que des individus, mais en plus, ils n'ont pas de conscience, d'où le proverbe « Les corporations n'ont pas d'âme ».

            Nous découpons la dépêche suivante dans le Pittsburg Post pour illustrer

LES BÉNÉFICES DES TRUSTS

            « New York, le 5 novembre 1896. — Les administrateurs du Trust de la Standard Oil se sont réunis aujourd'hui et ont déclaré que le dividende trimestriel de 3 $ par action et 2 dollars par action supplémentaire serait payable le 15  décembre. A l'origine, la valeur totale de l'émission des titres du Trust de la Standard Oil [huile — Trad.] était de 97 250 000 $. Pendant l'année fiscale qui vient de s'écouler, on a déclaré 31 % de dividendes, ce qui fait un total de gains de 30 149 500 $. Au cours de la même période, la Compagnie américaine de raffinage du sucre, connue sous le nom de trust du sucre, a payé 7 023 920 $ en dividendes. En plus de ces paiements de bénéfices aux actionnaires, on dit que le trust a un excédent de sucre brut, des créances et de l'argent en numéraire s'élevant à environ 30 000 000 de $ ».

            Par la suite, le même journal déclarait dans un éditorial :

            « Le Wire Nail trust [fil pour fabriquer des clous — Trad.] fut probablement une des combinaisons financières les plus iniques que l'on vit dans ce pays ; leurs procédés constituaient une véritable extorsion, un véritable vol d'argent au public. Il brava ouvertement les lois, corrompit, malmena et ruina des concurrents ; il dirigea ce commerce d'une manière autoritaire. Puis, ayant fait cela et augmenté les prix de deux cents à trois cents pour cent, il distribua des millions parmi ses membres. Bien entendu, dans ce trust, il n'existe pas d'anarchie. En fait, ce sont les anarchistes qui élèvent des protestations contre un tel brigandage et un tel mépris de la loi. C'est du moins ce que pense M. A. C. Faust, de New Jersey, du trust des clous, qui écrit au World que ses révélations des excès outrageants du trust « alimentent la flamme du mécontentement populaire ». C'est bien là une façon de minimiser les choses. On devrait donc, d'après lui, laisser pleine liberté aux trusts illégaux et pillards, et ne tolérer aucune tentative de les tenir en échec ; car « cela alimente la flamme du mécontentement populaire ». D'un côté, nous avons les gens du pays, de l'autre les voleurs patentés, les trusts. Mais il ne doit y avoir ni révélations, ni protestations, sinon « la flamme du mécontentement populaire » rendrait la vie difficile aux trusts. Pourrait-on aller plus loin dans l'impudence et l'arrogance ?

            « Le trust du charbon dans la production de l'anthracite est maintenant en train de voler les gens à raison de cinquante millions de dollars par an, en augmentant de 1,50 $ le prix de la « ton ». Le Rév. Dr. Parkhurst a présenté l'autre jour ses respects à cette bande particulière dans les termes suivants : « Si les compagnies houillères, ou les cartels houillers, ou les trusts du charbon usent de leur puissance pour drainer dans leur propre caisse autant d'argent de l'homme pauvre qu'ils peuvent ou qu'ils osent lui prendre, avec pour résultat l'appauvrissement des pauvres, la diminution de leur bien-être et l'épuisement des courants de la santé et de la vie, alors ces compagnies sont

POSSÉDÉES DU DÉMON DU VOL ET DU MEURTRE

            Et ceci est tout aussi applicable aux trafiquants de charbon qu'à ceux de n'importe quelle autre denrée ».

            « Tandis que le Rév. Dr. Parkhurst les stigmatisait ainsi comme « étant possédés par le démon du vol et du meurtre », un autre prédicateur de New York, le Rév. Dr. Heber Newton, s'adressant à des ouailles millionnaires assises sur des chaises recouvertes de velours, fit la louange des trusts comme une partie nécessaire et bienfaisante de notre civilisation avancée ».

            A propos de la baisse soudaine des prix des rails d'acier, de 27 $ à 15 $ par « ton », le journal Evening Record, d'Allegheny, dit :

             « Le grand « Pool acier », constitué pour soutenir les prix, est pratiquement écrasé. Cette combinaison gigantesque de capital et de puissance, faite pour avoir la haute main sur la production de l'une des plus grandes industries de l'Amérique, pour faire monter ou descendre les prix sur son simple commandement, pour imposer les consommateurs selon son bon plaisir, et à la limite de l'opportunité, va être dévorée par une combinaison plus gigantesque encore, plus puissante encore, plus riche encore. Rockefeller et Carnegie se sont emparé de l'industrie de l'acier en Amérique. L'événement fera époque. La réduction sur le prix des rails d'acier de 25 $ à 17 $ la « ton » [tonne américaine —  Trad.], chiffre le plus bas auquel ils aient jamais été vendus, marque une nouvelle ère dans l'économie du pays. Jusqu'ici, il s'agit d'un trust mangé par un autre trust, et ce sont les chemins de fer qui sont gagnants.

            « On peut dire sans hésitation que ni M. Rockefeller, ni M. Carnegie n'ont été amenés à cette grande entreprise par des considérations quelconques de sentiments vis-à-vis du public. Ils ont vu là une chance d'écraser la concurrence et ils en ont profité. A présent, ils possèdent la source d'approvisionnement la plus remarquable dans le monde, la région de Mesaba, au-delà de Duluth (Minnesota) décrite comme une région où il n'est pas nécessaire de creuser à grands frais, mais simplement de gratter la surface de la terre pour en extraire le minerai, Rockefeller a augmenté encore cet avantage qu'il avait de s'être assuré cette source d'approvisionnement en construisant une flotte de chalands de vaste capacité pour transporter ses matières premières aux bassins du lac Erié. Lorsqu'il eut réalisé ses desseins en s'alliant avec Carnegie, avec ses hauts fourneaux et ses usines, il eut « l'Association des fabricants de rails » à sa merci. Toute l'affaire avait été mise à exécution par une combinaison magistrale de facilités existantes. Le résultat actuel, du moins, est un avantage pour un grand nombre de personnes. Reste à savoir si MM. Rockefeller et Carnegie, ayant obtenu cette immense puissance entre leurs mains, se contenteront de récolter des bénéfices raisonnables et de laisser le public en profiter, ou si, après avoir écrasé leurs adversaires, ils emploieront cette puissance pour pratiquer l'extorsion impitoyable. C'est là un grave problème. Le fait qu'ils détiennent ce pouvoir est une menace en lui-même ».

            L'article suivant a été largement répandu en son temps, mais il est bon de le mentionner ici, à propos de ce sujet :

            « Kansas City (Mo.), le 26 novembre 1896. — L'ex-gouverneur David R. Francis, actuellement Secrétaire à l'Intérieur, adressa la lettre suivante à un petit groupe de partisans de l'étalon-or qui avaient organisé un banquet  au Midland Hotel  hier soir :

                                                                            Département de l'Intérieur,

                                                                            Washington (D.C.), le 19 nov. 1896.

            « Messieurs : je viens de recevoir votre invitation du 25, et je regrette de ne pouvoir participer ce soir à la célébration de la victoire de la saine monnaie... Si l'on n'intervient pas, par le moyen de lois, pour limiter l'influence croissante de la richesse, et pour circonscrire les pouvoirs des trusts et des monopoles, il y aura un soulèvement du peuple, avant la fin du siècle, qui fera courir un grave danger à nos institutions mêmes.

                                                                                                       David R. Francis. »

            Voici un extrait du journal Spectator de Londres :

            « Nous avons entre nos mains une décision prise par le Juge Russell, de la Cour Suprême de New York, qui montre à quel point est poussé aux États-Unis le système des « Trusts » ou méthode d'emploi de capitaux pour créer des monopoles. Une Association nationale des pharmacies de gros a été formée, qui comprend presque la totalité des grands pharmaciens de l'Union et fixe le prix des médicaments. Si l'un quelconque des pharmaciens privés vend au-dessous des prix fixés, l'Association avertit l'ensemble de ses membres de ne pas traiter avec lui, et en règle générale, elle réussit à causer la ruine de la firme réfractaire. La Compagnie John D. Park and Sons décida de résister à l'avertissement dictatorial et réclama une interdiction légale auprès des tribunaux ; cela lui fut refusé dans ce cas particulier, mais accordé en tant que principe général ; en effet il est enjoint à tous les hommes de s'abstenir de « conspirer » pour imposer « une gêne dans le commerce ». C'est là un cas extrême, parce qu'il est clair qu'un trust de ce genre joue, ou peut jouer avec la vie humaine. Il importe peu qu'ils augmentent le prix des spécialités (ce qui semble avoir été ici le motif de la plainte) jusqu'à une guinée [21 shillings — Trad.] ; mais supposez qu'ils mettent des drogues comme la quinine, l’opium ou les laxatifs hors de la portée des pauvres. On se souvient que les disciples de M. Bryan placent le système des trusts au premier rang de leurs accusations contre le capital, et des cas comme celui-ci leur donnent un point d'appui à leur argumentation ».

LES TRUSTS EN ANGLETERRE

            Bien qu'on puisse dire des trusts qu'ils sont une invention américaine, nous citons ce qui suit du Spectator de Londres, montrant qu'ils ne sont pas une exclusivité américaine. L'auteur déclare :

            « Les trusts commencent à s'emparer de certaines de nos affaires commerciales britanniques. Aujourd'hui, il existe un trust dont le siège social est à Birmingham et qui a accaparé tout le commerce des lits métalliques à travers toute la Grande-Bretagne. Cette combinaison (ou trust) est si adroitement organisée qu'il est pratiquement impossible à n'importe quel individu ne faisant pas partie de cette corporation d'entreprendre une fabrication indépendante de lits de fer ou de cuivre. Si, cependant, il essayait de le faire, il serait incapable d'acheter ses matières premières ou de trouver des ouvriers de la profession, car tous les fabricants de fer et de cuivre pour lits se sont mis d'accord pour en fournir au trust seulement, et les ouvriers sont tous engagés par leur Union pour ne travailler que pour les fabricants de cette Union. Les acheteurs ne peuvent donc s'attendre qu'à la concurrence étrangère seule pour que les prix de montent pas. Ce trust des lits est à présent prospère, c'est pourquoi de nombreux autres commerces locaux suivent maintenant son exemple ».

            Ces trusts disposent de capitaux qui se comptent par centaines de millions de dollars ; ce sont véritablement des géants. Si, dans ce domaine-là, les choses continuent pendant quelques années comme elles l'ont fait ces vingt dernières années, les trusts finiront par gouverner le monde avec le levier de la finance. Bientôt, ils auront le pouvoir, non seulement d'imposer les prix des marchandises utilisées par le monde, mais étant les principaux employeurs de la main-d’œuvre, ils auront la haute main sur les salaires.

            Il est vrai que ces associations de capitaux ont, dans le passé, accompli de vastes entreprises que des individus seuls n'auraient pu accomplir si vite et si bien. Vraiment, l’entreprise corporative privée a pris des risques qu'elle a assumés avec succès et que le public aurait condamnés et mis en échec s'ils avaient été entrepris par le gouvernement. On ne doit pas penser que nous condamnons sans distinction de vastes accumulations de capitaux ; mais nous faisons remarquer que l'expérience de chaque année non seulement ajoute largement à leur puissance financière, mais également à leur sagacité, et que nous approchons rapidement, si nous n'y sommes déjà, le moment où les intérêts et les libertés mêmes du peuple sont menacés. Chacun dit : on doit faire quelque chose ! mais personne ne sait ce qu'il faut faire. Le fait est que le genre humain est irrémédiablement à la merci de ces excroissances géantes du présent système social égoïste, et, la seule espérance est en Dieu.

            Il est vrai, également, que ces géants sont habituellement dirigés par des hommes capables qui, jusqu'ici, semblent disposés à se servir de leur pouvoir avec modération. Néanmoins, ce pouvoir se trouve concentré, et la capacité, guidée dans l'ensemble par l'égoïsme, voudra vraisemblablement, de temps en temps, serrer la vis sur leurs serviteurs et sur le public selon les occasions et les circonstances favorables.

            Ces géants menacent maintenant la famille humaine comme de vrais géants la menaçaient il y a plus de quatre mille ans. Ces géants étaient des « hommes de renom » — des hommes de prodigieuses capacité et sagacité, supérieurs à la race adamique déchue. C'était une race hybride, provenant d'une nouvelle vitalité apportée à la souche adamique (*) [Gen. 6 : 4 : Pour de plus amples renseignements à ce sujet s'adresser au Mouvement Missionnaire Intérieur Laïque (voir sur la liste des  publications à la fin de l'ouvrage). Ainsi en est-il pour ces géants corporatifs modernes : ils sont grands, puissants et rusés, à un degré tel qu'il faut abandonner l'idée de pouvoir les vaincre sans intervention divine. Leurs moyens prodigieux n'ont encore jamais été mis à contribution. Ces géants, aussi, sont des hybrides : ils sont engendrés par une sagesse qui doit son existence à la civilisation et à l'illumination chrétiennes agissant en combinaison avec les cœurs égoïstes d'hommes déchus.

            Cependant, lorsque les hommes sont à bout de ressources, c'est alors que Dieu intervient, et de même que les géants du « monde qui était avant le déluge »  furent anéantis dans les eaux du déluge, ainsi ces géants corporatifs doivent être anéantis dans le déluge de feu qui vient — le « feu » symbolique « de la jalousie de Dieu », de sa colère, qui s'allume déjà : « un temps de détresse tel qu'il n'y en a pas eu de pareil depuis qu'il existe une nation ». C'est dans ce « feu » que seront consumés tous les géants du vice et de l'égoïsme ; ils tomberont, et ne se relèveront plus jamais. — Esaïe 26 : 13, 14 ; Soph. 3 : 8, 9.

ESCLAVAGE BARBARE CONTRE SERVITUDE MODERNE

            Mettez pour un temps en contraste le passé avec le présent et l'avenir, en ce qui concerne l'offre et la demande de main-d’œuvre. C'est seulement au cours du siècle dernier que la traite des esclaves a cessé d'une manière générale et que l'esclavage a été aboli. Il fut un temps où la traite des esclaves était générale, mais graduellement, l'esclavage se fondit en servage à travers toute l'Europe et l'Asie. L'esclavage ne fut aboli en Grande­Bretagne qu'en 1838, et le gouvernement général paya aux propriétaires d'esclaves la somme de 20 000 000 de livres sterling, soit près de 100 000 000 de dollars, à titre d'indemnités. La France émancipa ses esclaves en 1848. Aux États-Unis, l'esclavage se maintint dans les États du sud jusqu'en 1863. On ne peut nier que la parole et la plume de chrétiens contribuèrent pour une grande part à mettre fin à l'esclavage humain ; mais d'autre part, il faut remarquer que le changement des conditions du marché du travail dans le monde aidèrent à donner à la majorité des humains une nouvelle conception de la question, et avec les indemnités versées, aidèrent à réconcilier les propriétaires d'esclaves avec le nouvel ordre de choses. Les voix et les plumes des chrétiens hâtèrent simplement l'abolition de l'esclavage, mais celle-ci, de toutes façons, aurait eu lieu plus tard.

            L'esclavage meurt d'une mort naturelle en raison du système moderne compétitif et égoïste, soutenu par des inventions mécaniques et par la croissance de la population. En faisant complètement abstraction de considérations morales et religieuses, ce serait maintenant impossible de généraliser l'esclavage dans des pays populeux, civilisés : il ne rapporterait rien du point de vue financier (1) parce que la machine a, dans une large mesure, pris la place de la main-d’œuvre, tant inintelligente qu'intelligente ; (2) parce qu'un serviteur intelligent peut faire plus de travail et le mieux faire qu'un serviteur inintelligent ; (3) parce que civiliser et même instruire un peu des esclaves rendrait les services de ces derniers plus coûteux que la main-d’œuvre libre ; en outre, les esclaves plus intelligents et plus capables, seraient plus difficiles à diriger et à employer d'une manière plus profitable que ne le sont les ouvriers soi-disant libres, mais liés mains et pieds par la nécessité. En un mot, les sages de ce monde ont appris que des guerres faites pour dépouiller des ennemis et pour avoir des esclaves, sont moins profitables que des guerres de concurrence commerciale dont les résultats sont meilleurs, aussi bien que plus considérables ; ils ont appris également que les libres « esclaves de la nécessité » sont les esclaves les moins coûteux et les plus capables.

            Si la main-d’œuvre intelligente, déjà libre, est moins coûteuse que la main-d’œuvre esclave ignorante, et si le monde entier a son intelligence qui s'éveille et sa population qui s'accroît rapidement, il est évident que le système social actuel est aussi certain de travailler à sa propre destruction que le ferait une machine fonctionnant à pleine vapeur et sans frein ni régulateur.

            Étant donné que la société est actuellement organisée sur le principe de l'offre et de la demande, il n'y a ni frein, ni régulateur sur la concurrence égoïste du monde. Toute la structure est édifiée sur ce principe : la pression égoïste, la force qui pèse lourdement sur la société, devient de jour en jour plus puissante. Les choses continueront ainsi avec les masses, à peser de plus en plus lourdement, degré par degré, jusqu'à ce que s'accomplisse dans l'anarchie l'effondrement social.

LES HUMAINS SONT PRIS ENTRE DEUX PIERRES MEULIÈRES

            Il devient de plus en plus évident aux masses des hommes que dans l'ordre de choses actuel, elles sont entre une meule supérieure et une meule inférieure dont les tours rapides doivent éventuellement, et sous peu, les écraser et les réduire à un servage misérable et ignoble, à moins qu'on n'y porte remède de quelque manière. Telle est vraiment la réelle condition de choses : les besoins de l'homme constituent le tuyau d'alimentation qui précipite les masses entre les meules ; la meule inférieure, c'est la loi inexorable de l'offre et de la demande qui soumet la population du monde de plus en plus intelligente et en croissance rapide à la pression de plus en plus rigoureuse de la meule supérieure (l'égoïsme organisé) actionnée par le pouvoir gigantesque des esclaves mécaniques, assistés des engrenages, des leviers et des poulies des combinaisons, des trusts et des monopoles financiers. (Il est à propos que le Bureau des statistiques à Berlin ait estimé, en 1887, que les machines à vapeur (les esclaves mécaniques) alors en fonction dans le monde représentaient approximativement un milliard d'hommes, ou trois fois la population laborieuse de la terre ; or, les forces de la vapeur et de l'électricité ont probablement plus que doublé depuis lors. Cependant, ces machines se trouvent presque toutes dans des pays civilisés dont les populations ne représentent qu'environ un cinquième du total). La puissance motrice de la meule supérieure comprend aussi le volant, pesant avec le poids d'une richesse concentrée inimaginée jusqu'ici, et d'une puissance cérébrale exercée et stimulée par l'égoïsme. Pour illustrer en partie le résultat du processus d'écrasement, nous notons un rapport selon lequel à Londres (G.-B.), il y avait 938 293 pauvres, 316 834 très pauvres et 37 610 de la plus grande indigence, soit un total de 1 292 737 ou près d'un tiers de la population de la plus grande ville du monde vivant dans la pauvreté. Des chiffres officiels concernant l'Écosse ont montré qu'un tiers des familles vivait dans une seule chambre, et plus d'un tiers dans deux chambres seulement ; que dans la ville de New York, au cours d'un hiver rigoureux, 21 000 hommes, femmes et enfants furent expulsés faute de pouvoir payer leur loyer, et que, dans une seule année, 3 819 de ses habitants furent enterrés dans le « champ du potier » [cimetière des indigents — Trad.] trop pauvres pour vivre comme pour mourir décemment. Ceci, rappelez vous, dans la ville même où, comme nous l'avons montré on compte déjà parmi ses citoyens des milliers de millionnaires.

            Un auteur, M. J. A. Collins, a discuté un jour dans The American Magazine of Civics, du sujet de la décadence de la propriété privée en Amérique, à la lumière du recensement des E.U. Au début il nous avertit de nous préparer à des faits frappants et à des indications menaçantes et dangereuses. Nous citons comme suit :

            « Il y a quelques décades, la grande majorité de la population était composée de propriétaires, et leurs habitations étaient pratiquement libres de toute charge ; aujourd'hui, la vaste majorité de la population est composée de locataires ».

            Étant donné que l'occupant d'une habitation hypothéquée n'est en fait qu'un locataire du créancier hypothécaire, il trouve que 84 % des familles de cette nation sont virtuellement des locataires, et ajoute :

            « Songez que ce résultat saisissant s'est produit en un temps très court, alors que l'Ouest offre le vaste domaine de terres libres à des colons, que les grands champs industriels s'ouvrent et offrent des emplois avec de bons salaires, et alors considérez ce qui résultera lorsque le grand Ouest sera entièrement occupé, ou toutes ses terres accaparées, une population augmentée de millions de gens, tant par la croissance naturelle que par l'immigration, les terrains riches en minerais et les mines sous la mainmise des syndicats de capitaux étrangers, le système de transports accaparé dans l'intérêt de quelques propriétaires millionnaires, les usines exploitées par de grandes corporations dans leur propre intérêt, les terres publiques épuisées et les sites nationaux accaparés et occupés par des spéculateurs, sans que les masses industrielles puissent y accéder ».

            En comparant ces chiffres aux statistiques européennes, M. Collins conclut que les conditions sous la République la plus grande sur la terre sont moins favorables qu'en Europe, sauf dans le pays le plus riche et le plus éclairé d'Europe, la Grande-Bretagne. Toutefois, les chiffres de M. Collins sont trompeurs, à moins de rappeler que des milliers de ces habitations hypothéquées appartiennent à des personnes jeunes (lesquelles, en Europe, habiteraient avec leurs parents) et par des immigrants qui achètent par versements. Néanmoins, la vérité toute simple est suffisamment pénible. Avec la pression croissante du temps, peu des nombreuses hypothèques actuelles seront un jour levées, sauf par le shérif.

            Il y a probablement peu de gens qui se rendent compte quel bon marché on fait parfois de la force humaine et du temps de l'être humain, et ceux qui le discernent ne savent pas comment remédier à ce mal, et font ce qu'ils peuvent pour y échapper eux-mêmes. Dans toutes les grandes villes du monde, il y a des milliers de gens connus sous le nom de « sweaters » [des gens qu'on exploite —Trad.] qui travaillent plus durement et pendant un plus grand nombre d'heures que ne le fit la majorité des esclaves du sud, et ce, pour avoir tout juste de quoi vivre. Apparemment, ils ont leur liberté, mais en fait ils sont des esclaves, les esclaves de la nécessité, ayant la liberté de vouloir, mais peu celle d'agir, pour eux-mêmes ou pour d'autres.

            Sur le même sujet, nous extrayons du Presbyterian Banner (Pittsburgh) ce qui suit :

            « Le système d'exploitation des travailleurs est né et s'est développé dans des pays étrangers avant d'être transplanté sur le sol américain où il y a apporté sa malédiction avec lui. Il ne se limite pas aux rayons des vêtements de confection, mais englobe tous ceux qui sont dirigés par un intermédiaire. L'intermédiaire ou fournisseur s’engage à procurer des marchandises au marchand à un certain prix, et afin de fournir de bonnes affaires au grand public des acheteurs, et en même temps des bénéfices au marchand et à l'intermédiaire, ce prix doit être fixé très bas et les pauvres ouvriers doivent souffrir.

            « En Angleterre, presque toutes les affaires sont traitées de cette façon. Le commerce de chaussures et de souliers, celui de la fourrure, le commerce d'ébénisterie et de tapisserie, et beaucoup d'autres sont tombés sous la coupe de l'intermédiaire et les gens sont réduits à des salaires de famine. Mais nous voulons parler du commerce des vêtements de confection dans notre propre pays. En 1886, il n'y avait à New York que dix ateliers exploitant leurs ouvriers ; à présent, il y en a de nombreuses centaines et il en est de même à Chicago, tandis que d'autres villes ont leur part. Ces ateliers sont pour la plupart entre les mains de Juifs, et ceux de Boston et de New York ont l'avantage sur leurs frères des régions plus à l'ouest en ce qu'ils peuvent profiter des étrangers, fraîchement débarqués qui ne peuvent pas parler la langue et peuvent donc être facilement trompés. Ces ouvriers sont entassés dans de petites chambres mal aérées ; ils sont parfois vingt ou trente dans une chambre assez grande pour huit ouvriers seulement, où ils doivent souvent faire la cuisine, manger et vivre, peiner dix-huit et vingt heures par jour pour gagner suffisamment pour ne pas mourir de faim.

            « Les prix payés pour ce genre de travail constituent une honte pour l'humanité. Par un travail pénible, des hommes arrivent à gagner deux à quatre dollars par semaine. Les chiffres suivants sont fournis par quelqu'un qui a étudié le sujet et qui a obtenu ses renseignements de l'un de ces « patrons rapaces » ; les prix sont ceux qu'il a reçus du marchand :

Pour confectionner des manteaux  0,76 $ à 2,50 $
Pour confectionner des vestes de travail  0,32 $ à 1,50 $
Pour confectionner des pantalons  0,25 $ à 0,75 $
Pour confectionner des gilets (par douzaines) 1,00 $ à 3,00 $
Pour confectionner des culottes (par douzaines)  0,50 $ à 0,75 $
Pour confectionner des chemises en calico (par douzaines) 0,30 $ à 0,45 $

            « De cette liste de prix, le « patron rapace » prend un gros pourcentage de bénéfice, et quand on a déduit le prix du transport que paie l'ouvrier, on peut aisément imaginer combien il faut que des hommes et des femmes travaillent durement et longtemps pour obtenir les choses ordinaires nécessaires à la vie. Pour des culottes, pour lesquelles le « patron » reçoit du fabricant soixante-cinq « cents » la douzaine, l'ouvrier exploité ne reçoit que trente-cinq « cents ».

            « L'ouvrier reçoit dix « cents » pour confectionner des pantalons d'été, et s'il veut en faire six paires complètes, il doit travailler près de dix-huit heures. Les manteaux sont confectionnés par quinze personnes, chacune faisant sa part. Des pantalons de travail, soixante « cents » la douzaine de paires. Ce ne sont là que quelques exemples seulement, et n'importe quelle femme connaissant un peu la couture ou la confection de vêtements, sait quelle somme de besogne cela implique.

            « Mais il y a rétribution en toutes choses, et parfois, l'innocent ou l'insouciant doit souffrir aussi bien que le coupable. Ces vêtements sont confectionnés dans les pires conditions de malpropreté. Le travail se fait dans des chambres qui ne conviennent pas à l'habitation humaine et qui sont empoisonnées par des germes de maladies. A Chicago, au cours de cette année, un visiteur vit dans l'un de ces ateliers quatre personnes occupées à confectionner des manteaux ; toutes avaient la fièvre scarlatine ; à un autre endroit, reposait le corps d'un enfant mort de la même maladie, tandis que le travail se poursuivait autour de lui et que la contagion se répandait inévitablement ».

« Il est triste que l’or soit si cher,

Et que la chair et le sang soient si bon marché ».

            Le nombre des pauvres misérables croît rapidement, et comme cela a été montré, la concurrence opprime de plus en plus toute la race humaine, sauf les quelques privilégiés qui se sont assuré des machines et des immeubles. Comme leur fortune et leur puissance progressent en rapport, il semble qu'on puisse s'attendre à voir des milliardaires si les conditions actuelles continuent.

            Il n'est pas possible que pareille condition de choses doive persister à jamais, car même l'opération de la loi naturelle de cause et d'effet amènerait éventuellement une rétribution. Nous ne devons pas non plus nous attendre à ce que la justice de Dieu qui fit cette loi permettrait la persistance de telles conditions. Dieu, par le moyen de Christ, a racheté et épousé la cause de notre humanité déchue et le moment de la délivrer de l'égoïsme et de la puissance générale du mal est proche — Rom. 8 : 19-23.

            Voici comment un journal de l'Ouest représentait clairement la situation il y a quelques années, situation plus terrifiante encore présentement : 

            « Le nombre des chômeurs dans ce pays s'élève à deux millions. Ceux qui dépendent d'eux sont probablement quatre fois plus nombreux.

            « Peut-être avez-vous entendu parler de cela déjà. Je voudrais que vous y pensiez jusqu'à ce que vous vous rendiez compte de ce que cela signifie. Cela veut dire que sous « le meilleur gouvernement du monde », avec « le meilleur système bancaire que le monde ait jamais vu » et toutes autres choses au plus haut niveau, avec une production sans précédent d'aliments et de tous autres objets de bien-être et de luxe, un septième de notre population a été réduit à la mendicité absolue si elle ne veut pas mourir de faim. Des gens ont faim devant des magasins et devant des silos qui regorgent de grains qu'on ne peut vendre à un prix suffisant pour rétribuer le producteur. Des gens grelottent, presque nus, devant des entrepôts remplis à craquer de vêtements de toutes sortes. Des gens ont froid et n'ont pas de feu, avec des centaines de millions de tonnes de charbon facilement accessible dans des milliers de mines. Les cordonniers qui sont inoccupés seraient contents d'aller travailler et de confectionner des souliers pour les mineurs en échange de combustible. De même, ces derniers seraient contents de travailler dans les mines pour pouvoir obtenir des souliers. De la même façon, le fermier à demi-vêtu, du Kansas, qui est incapable de vendre son blé pour payer les notes de moissonnage et de battage, serait enchanté d'échanger ce blé avec les hommes des usines de l'Est qui filent et tissent l'étoffe dont il a besoin.

            « Ce n'est pas le manque de ressources naturelles qui trouble le pays de nos jours. Ce n'est pas le manque de capacité ou de bonne volonté de la part des deux millions de chômeurs pour travailler et produire les choses désirables et utiles. C'est simplement que les instruments de production et les moyens d'échange sont concentrés [litt. « congestionnés » — Trad.] dans les mains de quelques-uns. Nous ne faisons que commencer à nous rendre compte combien est pernicieux un tel état de choses, et nous le comprendrons de mieux en mieux au fur et à mesure que cette concentration augmentera. Des gens sont oisifs, ils ont froid et faim parce qu'ils ne peuvent échanger les produits de leur travail. Devant de tels résultats, notre prétentieuse civilisation actuelle n'est-elle pas à la veille d'un échec mortel ? Si les chômeurs de ce pays se mettaient côte à côte en rangs de quatre et à deux mètres environ d'intervalle, ils formeraient un cortège de six cents « miles » de long [environ 965 km —Trad.]. Ceux qui dépendent d'eux pour subsister atteindraient, dans le même ordre, une distance de 2 400 « miles » [3 862 km environ — Trad.]. Cette armée, ainsi formée, s'étendrait de l'Atlantique au Pacifique — de Sandy Hook à Golden Gate.

            « Si l'intelligence de la race n'est pas capable d'imaginer un système industriel meilleur que celui-ci, nous pourrions aussi bien admettre que l'humanité est le plus grand échec de l'univers. [Oui, c'est à cette conclusion que porte la providence divine : il faut que les hommes apprennent leur impuissance personnelle et quel est le vrai Maître, de  même que chaque poulain doit être « rompu » avant de pouvoir servir.] La chose la plus atroce et la plus cruelle  de tous les temps est l’essai fait actuellement de maintenir une armée industrielle chargée de combattre pour nos rois ploutocratiques sans prendre des dispositions pour la maintenir durant les périodes où ses services ne sont pas nécessaires ».

            Ce qui précède a été écrit pendant la période de la crise la plus grave à propos de la « manipulation (*) [« tinkering » : familièrement : le rafistolage.] des barèmes » et ne constitue pas, heureusement, la condition normale. Toutefois on ignore quand il est possible qu'elle se répète. Néanmoins, le Harrisburg Patriot, de la même année, donna les chiffres suivants, sous le titre « Le nombre des chômeurs » :

            « Il existe 10 000 chômeurs à Boston ; 7 000 à Worcester, autant à New Haven, 9 600 à Providence, 100 000 à New York, 16 000 à Utica qui est une petite ville ; à Paterson (N.-J.) la moitié des habitants chôment ; il y a 15 000 ouvriers inoccupés à Philadelphie, 10 000 à Baltimore, 3 000 à Wheeling, 6 000 à Cincinnati, 8 000 à Cleveland, 4 000 à Columbus, 5 000 à Indianapolis, 2 500 à Terre Haute, 200 000 à Chicago, 25 000 à Detroit, 20 000 à Milwaukie, 6 000 à Minneapolis, 80 000 à St-Louis, 2 000 à St-Joseph, autant à Omaha, 5 000 à Butte City (Mont.), 15 000 à San Francisco ».

            Nous donnons ci-dessous un extrait de The Coming Nation, intitulé « Un problème qu'il vous faut résoudre ». Il montre à quel point certains hommes voient clairement la situation. Toutes ces voix qui mettent en garde ne font que répéter le conseil solennel du prophète inspiré : «  Et maintenant, ô rois [tous ceux qui détiennent une mesure quelconque d'autorité et de pouvoir], soyez intelligents ; vous, juges de la terre, recevez instruction ». Il déclare :

            « Vous admettrez que des nouvelles machines supplantent les ouvriers. La prétention que la fabrication et la surveillance de ces nouvelles machines emploieront le nombre des ouvriers ainsi jetés dehors ne tiendra pas, car si cela était vrai, il n'y aurait aucun avantage à employer des machines. Le fait ressort tellement bien que des centaines de milliers d'ouvriers chôment maintenant parce que des machines font le travail qu'ils faisaient autrefois ; il faut que tous reconnaissent ce fait pour peu qu'ils réfléchissent. Ces hommes sans travail n'achètent pas autant de marchandises que lorsqu'ils travaillaient ; ainsi y a-t-il moins de demandes de ces marchandises ; par suite, beaucoup d'autres ouvriers ne peuvent être employés, et cela augmente le nombre des chômeurs et arrête d'autres achats.

            « Qu'allez-vous faire de ces ouvriers sans travail ? Que, dans leur ensemble les prix des marchandises baissent, cela ne donne pas du travail à ces hommes. Aucune  activité ne s'ouvre à eux, car tous les marchés du travail regorgent d'hommes pour la même raison. Vous ne pouvez les tuer (à moins qu'ils ne fassent grève), et ils ne peuvent aller nulle part. Sérieusement, je demande : qu'allez-vous  faire d'eux ? Des fermiers expérimentés font faillite, alors quelle preuve de succès auraient ces hommes dans l'agriculture, même s'ils avaient de la terre ?

            « Le nombre de ces hommes se multiplie comme les feuilles de la forêt. Ils se comptent par millions. Il n'y a aucune perspective d'obtenir du travail pour beaucoup d'entre eux, ou s'ils y parviennent, ce n'est que pour prendre la place d'autres qui travaillent maintenant et qui, alors, viendraient s'ajouter au nombre des sans travail. Peut-être pensez-vous que leur sort ne vous regarde pas, mais, mon cher monsieur, cela vous concerne bien, et vous vous en rendrez compte avant peu. C'est un sujet qu'on ne peut écarter en tournant les talons et en refusant d'écouter. Le peuple français a pensé cela jadis mais il l'apprit autrement, même si la génération actuelle a oublié la leçon. La génération présente, aux États-Unis, doit résoudre la question et la résoudra de quelque manière. Cela peut être fait dans la paix, l'amour et la justice, ou bien par un homme violent qui foule aux pieds les droits de tous, comme vous le voyez maintenant faire, dans l'indifférence, au détriment de quelques-uns. Nous le répétons, il vous faudra répondre à ces questions dans les prochaines années.

            « Les Français furent avertis, mais ils ne pouvaient écouter à cause de la vie fastueuse de la royauté corrompue. Et vous, écouterez-vous ? ou bien, permettra-t-on au présent état de choses de continuer ainsi jusqu'à ce que cinq ou six millions de gens réclament du pain ou de « l'oxyde de fer » ? L'agitation, lorsqu'elle arrivera, sera intensifiée au centuple, aux États-Unis, à cause des conditions sociales qui y prévalent depuis un siècle. L'amour de la liberté est devenu puissant, alimenté par une haine des rois, des tyrans et des oppresseurs. On ne peut compter ni sur des soldats, ni sur des marins qui viennent des masses populaires pour tirer sur leurs propres pères et sur leurs propres frères au seul signe ou sur l'ordre de rois titrés ou non. Étant donné ce qui doit résulter d'une oisiveté trop prolongée de millions de personnes dont les conditions identiques cimenteront bientôt des liens d'amitié, ne pensez-vous pas que vous devriez vous intéresser à ces conditions ? Ne serait-ce pas mieux de trouver et d'appliquer un remède, d'employer ces hommes, même dans des ateliers publics plutôt que d'en arriver à la détresse finale ?

            « Nous savons ce que font les capitalistes : nous les voyons préparer les munitions de guerre pour gouverner les masses par la force des armes. Mais ils sont stupides. Ils ne sont sages qu'à leurs propres yeux. Ils sont en train d'adopter la tactique des rois, et bientôt, ils seront comme la balle au vent. Le destin est contre leurs tactiques. Des rois, ayant des armées plus fortes que celles qui peuvent être rassemblées ici pour défendre le capitalisme, tremblent devant la croissance constante d'une civilisation plus élevée parmi le peuple, poussée par la détresse de cette armée de sans travail qui grandit rapidement. La justice ne fait de tort à personne, bien qu'elle puisse supprimer les privilèges des voleurs. En qualité de citoyens, résolvons et réglons le problème légalement, non pas en partisans, mais en citoyens qui pensent davantage au pays qu'à un parti, et plus à la justice qu'à l'or du roi ».

            Telles sont les fortes paroles de quelqu'un qui, de toute évidence, pense fortement, et il y en a beaucoup comme lui. Personne ne peut nier qu'il y ait au moins quelque vérité dans les accusations.

L'ÉTAT DE CHOSES ACTUEL EST UNIVERSEL ;

AUCUN POUVOIR HUMAIN NE PEUT Y REMÉDIER

            Cet état de choses n'existe pas seulement en Amérique et en Europe : en effet, pendant des siècles, les millions d'habitants de l'Asie n'ont jamais connu d'autres conditions d'existence. Une dame américaine, missionnaire en Inde, écrit qu'elle fut profondément affligée lorsque les indigènes lui demandèrent s'il était vrai que, dans son pays, les gens avaient tout le pain qu'ils désiraient manger, trois fois par jour. Elle raconte qu'en Inde, la plupart des gens ont rarement assez à manger pour satisfaire leur appétit.

            On raconte que le « Lieutenant-Gouverneur » du Bengale (Inde) aurait dit, il n'y a pas longtemps : « La moitié de notre population agricole ne sait jamais ce que c'est que de manger à sa faim ». Ceux qui produisent le grain ne peuvent pas manger ce qui leur serait strictement nécessaire, car ils doivent d'abord en tirer le montant des impôts. Dix millions de la population de l'Inde sont occupés au tissage à la main des cotonnades. Aujourd'hui, les machines, sur le littoral, ont détruit leur industrie et il ne leur reste comme occupation que l'agriculture dans les dures conditions mentionnées plus haut.

            En Afrique du Sud, également, où des millions de dollars furent généreusement investis au cours de ce que l’on a appelé la « Fièvre d'or africaine », les temps sont durs pour beaucoup, et certains des intellectuels craignent le pire. L'extrait suivant d'un journal de Natal (Afrique du Sud), donne une idée de la situation :

            « Ceux qui ne sont pas venus directement en contact avec les immigrants européens cherchant du travail ne peuvent pas se faire une idée du dénuement dans lequel se trouvent ces gens-là à Durban. Il est cependant réconfortant de constater que le Comité de secours du Conseil municipal se rend bien compte qu'il a un devoir humanitaire à remplir à l'égard des malheureux qui sont arrivés dans ce pays. Cette semaine au cours d'une conversation avec M. R. Jameson, l'infatigable promoteur qui est entré, corps et âme, dans ce mouvement philanthropique, j'ai appris que les œuvres de secours à Point offrent un emploi temporaire à quelque chose comme cinquante hommes. Il est affligeant de constater que des hommes qui ont été formés pour des travaux de bureau, aussi bien que d'habiles artisans, puissent se trouver « si malchanceux » qu'ils en soient réduits à accepter avec empressement l'allocation de 3 s. par jour et un abri fournis par la Société contre le maniement de la pelle pendant huit heures pour enlever du sable sous un soleil brûlant.

            « Pendant ce temps-là, il n'y a aucune place vacante et l'on doit refuser de fréquentes demandes d'emploi. De temps en temps, le Président du Comité, par le moyen d'annonces ou autrement, trouve de l'emploi pour tels des hommes qui ont une connaissance suffisante d'une profession ou d'un métier manuel. Les places vacantes ainsi créées dans l'équipe sont alors comblées par certains de ceux qui avaient antérieurement proposé en vain leur candidature. En plus de ceux qui travaillent dans l'équipe, il y a un nombre important d'hommes qui errent dans la ville après avoir vainement cherché un emploi. Ils trouvent bientôt le moyen de toucher le génial député-maire qui fait tout ce qu'il peut pour eux, souvent sans succès malheureusement. Si des employeurs, ayant besoin de main-d’œuvre, ont recours à M. Jameson, ils peuvent obtenir sur sa liste tous renseignements utiles concernant les sans travail. Il faut comprendre qu'aucun de ces chômeurs n'est un véritable habitant de Durban : tous sont venus là de toutes les parties de l'Afrique du Sud, en quête d'un emploi. Durban n'est nullement la seule ville à faire cette expérience ; il n'y a que trop de preuves évidentes qu'une semblable situation déplorable existe ailleurs.

            « Comme nous l'avons déjà mentionné, nombre de ceux qui sollicitent un emploi dans l'équipe de secours sont des hommes habitués uniquement à un travail de bureau. On ne saurait trop souvent ni trop fortement insister que ceux-là n'ont absolument aucune chance au Natal, le marché du travail y étant toujours encombré. Si, dans la ville, il n'y avait pas l'action de la Société qui fournit un travail temporaire, il y aurait eu une détresse considérablement plus grande. Dans l'ensemble, les hommes de l’équipe de secours ont eu une conduite exemplaire, ce qui justifie la poursuite de la politique adoptée par le conseil municipal. Mais, demandera-t-on peut-être, que fait la Société de Bienfaisance ? Cette excellente institution ne fournit des secours qu'aux résidents et à leurs familles, et comme à l'ordinaire, ses « mains » sont pleines, sinon d'argent, en tout cas de cas dignes de retenir son attention ».

            Mais les gens intelligents qui discernent ces choses ne feront-ils pas le nécessaire pour empêcher l'anéantissement de leurs semblables, moins favorisés ou moins intelligents ? Ne s'aperçoivent-ils pas que la meule supérieure se rapproche très dangereusement de la meule inférieure ? Ne voient-ils pas que les masses populaires qui doivent passer entre ces deux meules dans la concurrence souffrent cruellement de cette oppression et en souffriront davantage encore ? Des cœurs généreux ne chercheront-ils pas à les secourir ?

            Non ; la majorité de ceux qui sont favorisés, soit par la richesse, soit par la capacité sont tellement occupés pour eux-mêmes à « gagner de l'argent » à amasser la plus grande quantité possible de « farine » dans leurs propres sacs, qu'ils ne se rendent pas compte de la véritable situation. Ils entendent bien les gémissements des gens moins fortunés qu'eux ; souvent ils donnent généreusement de l'argent pour les aider, mais comme le nombre des malheureux augmente rapidement, beaucoup pensent que la situation de ceux-ci est sans espoir, ils s'habituent aux conditions présentes, s'installent dans la jouissance de leur bien-être personnel et de leurs privilèges spéciaux, et pour un temps du moins oublient ou ignorent les afflictions de leurs semblables.

            Cependant, il y en a quelques-uns qui se trouvent bien placés pour discerner plus ou moins clairement la véritable situation. Il n'y a aucun doute que parmi eux se trouvent des industriels, des propriétaires de mines, etc. Ils peuvent discerner les difficultés, et désireraient que les choses fussent autrement ; ils désirent vivement aider à les changer, mais que peuvent-ils faire ? Ils peuvent faire bien peu de chose, sauf d'aider à secourir les cas de détresse les plus douloureux parmi leurs voisins et leurs parents. Ils ne peuvent pas changer le présent ordre social et détruire en partie le système de concurrence ; ils se rendent compte que le monde souffrirait d'une abolition complète de la concurrence si l'on ne remplaçait celle-ci par quelque autre puissance qui oblige ceux qui, par nature, sont indolents, à être énergiques.

            Il est évident qu'aucun homme ni groupe d'hommes ne peuvent changer le présent ordre social, mais par la puissance de l'Éternel et selon les moyens de l'Éternel indiqués dans les Écritures, cet ordre peut être et sera changé bientôt pour être remplacé par un système parfait, basé non sur l'égoïsme mais sur l'amour et la justice. Pour établir ce règne, il faut que l'ordre de choses actuel soit entièrement renversé. Le vin nouveau ne sera pas mis dans de vieilles outres ; il ne sera pas non plus pris une pièce de drap neuf pour rapiécer un vieil habit. C'est pourquoi, ayant de la sympathie pour les riches comme pour les pauvres, dans les malheurs qui sont proches, nous pouvons prier « Que ton règne vienne ! Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ! » même si le Royaume doit s'établir dans « le feu de la colère de l'Éternel », feu dont nous voyons déjà les « éléments » en préparation.

*  *  *

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